Septembre 2021
Read MoreA p p r i v o i s é
Je suis né tout près. Sur un terreau fertile, entre les lumières glauques des néons, non loin de celles des lampadaires.
J'ai grandi ici. Libre mais enfermé. Entre le parking et le stade de sports ; entre le bar et la bibliothèque ; entre les bâtiments et les poubelles. Comme toi.
On m'a nourri, on m'a arrosé. On m'a fait pousser. On m’a bien élevé. On m'a protégé des tempêtes, parfois. Comme toi.
On a écarté quelques-uns des plus sauvages, réorienté les plus tordus, taillé les plus empressés, rabaissé les plus dissipés. Comme chez toi.
J'ai cru que c'était normal – comme toi. Que c'était le destin de chacun. Un destin sans vagues, sans heurts, sans périls. La tranquillité sans histoires. Chacun dans son coin. Chacun son boulot. Chacun son récit. Chacun son aventure, pleine d'écueils et de gloire mais sans réel péril ; chacun son cheminement sans failles, dans un carré bien entretenu. Un bel avenir propre et coloré.
Il y a de la place pour tout le monde : surtout pour les meilleurs. Les classiques, les bien équilibrés, les aisés à restructurer.
Là, à mes pieds ; et là-bas, au loin, il y a des mauvaises herbes. De celles qui dérangent. Des sauvages, des indomptables, des indisciplinés, des fous verts bien ouverts, des trop curieux. Des qui ne veulent pas suivre la bonne marche linéairement exponentielle du monde. Des gêneurs. Des envahissants. Des contrariants. On ne s'entend pas si mal, mais bien vite, on vient m'en débarrasser avant qu'ils ne soient étouffants.
Régulièrement, ils se font taillader. Ils font désordre. Mais ils repoussent, les inconscients, au risque de se voir réduits à néant. Pourquoi tant d'énergie à croître pour se voir supprimé, encore et encore ?
Je penche un peu. Je deviens expansif. On s'empresse de me ciseler savamment. Il est de mon devoir de m'élever bien droit. Symétrique. Circulaire et carré. Stable.
Je suis né apprivoisé. Comme toi.
Challenge une photo et quelques mots par jour : 264/365 - 21 septembre
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