Octobre 2021
Read MoreLoup
"C'est l'histoire d'un jeune berger. Il vivait dans un village niché au creux d'une montagne. C'était une belle montagne. Une longue chaîne de pyramides aux roches sombres striées d'ocre, aux neiges éternelles éblouissantes blotties sur les plus hautes bosses. À l'Ouest, un sommet haut, effilé, sur lequel un petit glacier replet croulait des jours paisibles, barrait la vue. Les vallonnements plissés se métamorphosaient au gré des saisons : le printemps les enchantait de fleurs multicolores, l'été chaleureux cuisait l'herbe verte, l'automne transformait les collines en désert de dunes, l'hiver étouffait tout sous son grand manteau blanc. Chaque soir dégagé, le soleil embrasait les hauteurs.
Le village était tout petit. Un fatras de maisons aux épais murs de pierres et aux charpentes de mélèzes, collées les unes aux autres, laissant les pentes aux cultures et aux pâturages. Les toits d'ardoise luisaient dans le soleil du matin, et dès septembre, une odeur réconfortante de feu de bois flottait dans l'air cristallin.
Notre jeune berger était tout fier : c'était sa première estive. La tête haute, il amena le troupeau sur un petit plateau, et s'assit en tailleur sur un rocher. La vue était admirable, l'air encore un peu frais, les brebis restaient groupées. Au soir, il installa ses protégés autour de la bergerie, sur une éminence en vue du hameau, se coupa une grosse tranche de pain et un morceau de tomme qu'il mangea avec appétit, et alla s'allonger pour une nuit de répit. Au loin, il entendit les loups chanter. … Le lendemain, reposé, il repartit sur les sentiers, passa sa journée à marcher, réfléchir, surveiller. Bien vite, le temps commença à lui paraître long. Ses pensées pirouettaient, vagabondaient, ... et si il faisait une blague aux villageois ?
Le surlendemain, il n'y tint pas. Le crépuscule tombait à peine qu'il monta sur la colline et se mit à crier "Au loup ! Au loup !". Ni une, ni deux, un groupe était prêt à le rejoindre pour défendre le troupeau. Mais quelle surprise lorsque, là-haut, il ne vit aucune trace d'un prédateur... seulement un jeune garçon, qui riait, riait... et en fut quitte pour un bon sermon.
Une semaine plus tard, le berger, peu patient, s'ennuyait à nouveau. À nouveau, il courut sur la colline en hurlant "Au loup ! Au loup ! Un loup s'attaque au troupeau !". Et à nouveau, les villageois montèrent en force, et trouvèrent un troupeau entier et un berger qui se marrait.
La farce se répéta, et toujours les villageois répondirent à l'appel, craignant pour les brebis.
La saison touchant à sa fin, bientôt la neige recouvrirait les pâturages, et le jeune berger s'apprêtait à redescendre. Un soir que l'automne frappait à la porte, que les mélèzes dorés étaient tourmentés par les premières tempêtes glaciales, ... Il aperçut une tache grise qui fonçait vers lui. Deux autres taches dévalaient la pente, à une vitesse effrayante. Bien vite il comprit, et les taches devinrent plus nettes : une fourrure dense, des membres robustes, un museau allongé révélant une mâchoire puissante. Vite, vite, pris de panique, le berger s'élança vers le haut de la colline. Mais personne ne répondit à son appel. Las de ses blagues douteuses et de se déplacer pour rien, les villageois s'étaient mis d'accord. Peut-être que cette mauvaise herbe de berger comprendrait alors qu'il fallait user avec parcimonie de la serviabilité d'autrui, et qu'un menteur, à force de tromperies, n'est plus cru... Qui aurait pu deviner que, pour la première fois, l'appel était justifié ?
On dit que ce soir-là, la meute mangea à sa faim, et que le petit troupeau s'en trouva dévasté. On dit aussi que le jeune berger est devenu patient et honnête, et qu'il n'a plus jamais menti – y laissant un peu de son sens de l'humour litigieux."
(La véritable fable est "Le Berger Mauvais Plaisant" (ou "Le Garçon qui criait au Loup") d'Esope.
Il y a quelques années, une étude a montré que raconter des contes montrant des exemples d'honnêteté aurait un impact plus positif sur les enfants que les contes culpabilisateurs.)
Challenge une photo et quelques mots par jour : 288/365 - 15 octobre
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