Octobre 2021
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Décollage | Transcendance
Le soir s'essouffle sur les sommets émoussés. Une émulsion hétérogène pétille dans le ciel bas. Un trou béant dans un monceau gris cendré laisse s’insinuer quelques raies d'un soleil doré, en partance pour nulle part, segments d'éventails éventés. À l'orée des bois, quatre chevrettes broutent une prairie vert pomme. Alertées par notre allure de bipèdes, elles nous surveillent un long moment, nous laissent approcher raisonnablement avant de rejoindre le couvert des arbres.
Ce bois, c'était mon terrain de jeu pendant les vacances scolaires. Loin d'être intrépide, je sillonnais régulièrement les mêmes chemins, espérant apercevoir les ongulés à l'aube et au crépuscule. Cette lisière m'a souvent intimidée : d'un coup, la piste qui remonte paisiblement du village, encadrée jusque-là de prés et de champs, quitte les vergers et pâturages bucoliques pour se jeter dans une barrière de hauts résineux droits et ténébreux. Ma mère m'avait raconté qu'une nuit, entendant les sangliers grogner, elle n'avait pas osé traverser. Déjà fort imposant dans mon enfance, le mur végétal grandissait en même temps que moi, asphyxiant toujours plus la lumière. À l'époque, j'avais une vieille méthode d'anglais composée de livres d'histoires, dans laquelle une forêt s'appelait "the dark wood". Cette plantation lugubre en était une incarnation. Vite, je traversais la cloison dense et sombre, garde-fou de la "vraie" forêt accueillante aux multiples hêtres vigoureux, au parterre de feuilles rousses crissantes, aux souches emmaillotées de mousse épaisse, et aux champignons gluants et colorés.
Mes baskets déchirées s'enfoncent dans le sol meuble, entraînant dans leurs mouvements étouffés un concert de bruits de succion et de craquements humides. Une chouette fait résonner son premier hululement et, plus près, deux volatiles mystérieux me crient dessus consciencieusement. La lumière baisse. L'atmosphère devient particulière, palpablement intimidante. Quelque chose d'angoissant émane de ces chandelles austères noyées dans une végétation brouillon. Les silhouettes décharnées des conifères, longilignes et fières, se découpent devant moi. Leurs bustes élancés enlacent les cieux, s'y glissent, pivotent, jouent avec la clarté mourante, s'inscrivent comme des tampons encrés sur le coton encore clair des nuages.
Challenge une photo et quelques mots par jour : 279/365 - 6 octobre
