Le vent lèche la falaise et fait vibrer la grande croix métallique, lui arrachant un son sifflant. Derrière mon petit muret, bien enfouie dans mon sac, j'écoute les rafales qui viennent parfois mourir contre moi dans un souffle doux comme un câlin. Dans le ciel sombre, des voiles pâles se succèdent et s'effritent, laissant cligner de plus en plus d'étoiles. Il est encore tôt, j'attends le sommeil en rêvassant, écoutant les bourrasques. La puissance du courant s'intensifie. Le bruit aussi, se rapprochant dangereusement de la soufflerie infernale. Le sur-sac se gonfle et s'agite en tous sens : tant pis pour la vue sur les étoiles, je me calfeutre à l'intérieur. Bientôt, la puissance est telle que je sens mes jambes bouger, secouées par la tourmente. Sur le qui-vive, roulée en semi-boule – la boule complète dans un sac de couchage étant assez peu réaliste, même lorsque l'on mesure 1 m 50 – j'entends et j'attends, mêlant ma respiration à celle de l'air endiablé. Lorsque j'ouvre la lucarne du sur-sac, la Lune a son grand œil à demi-ouvert posé sur moi, et tout autour les étoiles sont légions. Ainsi la nuit s'écoule, entre songes inachevés et expectative. À l'aube, le vent faiblit légèrement, et j'enfile toutes mes couches de vêtements avant de ranger le sac dans le sac pour éviter qu'il ne prenne son envol. Au loin, une série de lenticulaires se colore autour du Mont-Blanc coiffé d'un turban gris. Des chamois replets broutent et font les fous un peu plus loin sur le plateau. Le soleil prend son temps, puis s'étire en une couche d'or sur ce nouveau jour. Challenge une photo et quelques mots par jour : 302/365 - 29 octobre
C'est l'histoire d'un pied qui marchait sur l'eau. C'est l'histoire d'une eau pour laquelle c'était le pied. C'est l'histoire d'un pied qui perdait pied. C'est l'histoire d'une eau qui s'y noyait. C'était à une époque lointaine, dans le passé ou dans le futur. Une époque où se décidait un peu l'ordre des choses. Il y avait l'animal et le végétal, le vivant et le mort, l'immobile et le mobile, le marin et le terrestre, la pensée complexe et les décomplexés, les conifères et les feuillus, les êtres et les choses. Et voici que, d'un coup d'un élan, un hurluberlu qui ne voulait déjà pas rentrer dans les cases qu'on n’avait même pas fini de tracer décidait de mettre un coup de pied dans l'eau. Déjà, c'était ennuyeux. Parce qu'on venait de faire la différence entre les rivières et les lacs, et qu'un lac devait se tenir tranquille. Or, l'hurluberlu avait fait des vagues. Le lac était-il redevenu rivière ou mer jusqu'à apaisement ? Ensuite, cet extravagant indivichose semblait mort mais vivait, s'octroyait l'apparence d'un bout d'animal habitant la savane tout en vivant sur l'eau et revendiquait le statut de plante – sans être verte, soi-disant parce qu'il y aura toujours assez de légumes. En outre, il avait décidé d'être un conifère, parce que les aiguilles c'est trop classe comme feuilles ; mais de perdre ses aiguilles à l'automne par solidarité. Bref : un bug dans le tissage de la matrice, une maille loupée dans ce joli tricot bien agencé. L'indivichose s'est reproduit. Un troupeau d'élépharbres s'est épanoui, peuple des eaux, vivants immobiles. Et revêtant à l'automne une parure rougeoyante digne des plus beaux fayards. Challenge une photo et quelques mots par jour : 303/365 - 30 octobre
Un look de flèche ou d'ombrelle, de ces mini-décorations en papier qu'on fiche dans les gâteaux. Il se tient en équilibre instable, tout proche de l'eau. Tout fier, il indique les cimes, se prend pour un agent de circulation, se pavane sous les éclats des courants tout en nuances. Le pauvre ruisselet a dégonflé depuis les dernières crues. Il n'en reste plus qu'une cannelure d'eau fluette, qui pénètre au centre d'un bosquet concave, creusant son trou dans ce terreau crasseux entre les barres d'immeubles. Le petit groupe d’arbres, jonché de quelques détruits jadis charriés par le flux, abrite pourtant bien des vies. Les pies jacassent, les ailes des passereaux miroitent dans le soleil venteux, des grenouilles splochent d'un bond, ... et à la berge submersible s'agrippent des rangées de champignons. Challenge une photo et quelques mots par jour : 304/365 - 31 octobre