Toute la nuit, la rivière a chanté une berceuse à la Lune. Des songes s'entremêlent lorsqu'un bruit indéterminé s'incruste. Graduellement, je réalise qu'il ne faisait pas partie du rêve. Il fait jour. Les chants d'oiseaux constellent l'espace sonore. Le camion de mon ami Simon est déjà ouvert, et j'aperçois sa silhouette discrète remuer. Je rassemble un peu mes idées et descends. Un café et une banane plus tard, nous sommes sur nos traces de la veille. Il fait frais et humide sous le ciel bleu. La rosée se suspend en perles au bout des hautes herbes. Dans les gorges, la semi-obscurité de l'aube semble vouloir s'éterniser. Les troncs encapuchonnés de mousse forment des files de personnages chimériques. Très loin au-dessus, le soleil caresse doucement une falaise. Une orchidée solitaire nous retient un moment, puis des crapauds épineux, qui s'étreignent devant une guirlande d'œufs. Le sentier monte, hésite, plonge dans la pente, s’appuie à un escarpement. Demi-tour. L'autre gorge est déjà gorgée de soleil. Une poignée de papillons volette. Sous un rocher, je découvre une minipyramide de tufs, telle une colline réduite étagée de rizières... dans laquelle une feuille s'est fossilisée. Quand le végétal devient minéral... Fascinant. L'ambiance évolue très vite. De la chaleur émane des bois moussus, la rivière est un bijou liquide. Les feuilles toutes neuves forment des essaims papillotants aux contrastes frappants. Dans l'ombre, une foule végétale attend patiemment son heure. Un pique-nique au bord d'une piscine naturelle et nous revoilà repartis. La jungle est toujours aussi subjuguante... J'avance, sans avoir l'impression de réussir à capter – ni de mes yeux ni de l'appareil – un centième de la beauté environnante. Une cascade après l'autre. Je découvre des passages manqués hier, d'autres recoins, de nouvelles îles désertes débordantes de vie. Toujours plus de fougères, d'ail des ours, de dentaire palmée, d'oxalis, ... de vert. Ressaut après ressaut, le canyon dévoile ses chefs-d'œuvre. Je m'arrête un moment pour respirer, ressentir, dos à un arbre aussi douillet qu'un fauteuil. La lumière, voilée, baisse ; et les teintes de la forêt prennent une intensité particulière. Les pieds dans l'eau qui frétille, je fais face à ce drapé féérique. On redescend après la tombée du jour. Après une hésitation, mon camarade d'exploration reprend la route ; et je me retrouve seule dans l'Ambryon, à écouter les bruits secs des gouttes sur la résine du toit, qui pétillent parmi la voix flottante de la rivière. Challenge une photo et quelques mots par jour : 115/365 - 25 avril
Au matin, un jour gris se lève sur le chemin de terre. En face, la place vacante est bizarrement vide : plus de fourgon. Juste le bruit clapotant du torrent, et une vibration grésillante émanant de la centrale hydroélectrique à proximité. Une atmosphère curieuse. Comme si en partant mon compère d'exploration avait emporté un petit morceau de l'âme du lieu. C'est presque à se demander si ces deux jours dans les canyons magiques n'étaient pas un rêve. Je sors découvrir une troisième rivière. Au début, un large chemin la remonte paresseusement le long d'une forêt de conifères. Puis une sente s'écarte à droite dans une multitude de pervenches. Elle hésite entre le lit caillouteux et la berge inextricable. Traverse, s’en revient. D'un coup, une haute falaise en toits me surplombe. Une corde inatteignable en pend. Suivant des yeux les spits, j'essaye de visualiser des voies. ... ça a l'air dur ! Les rares lignes qui me paraissent humainement accessibles sont celles qui permettent l'accès à des relais intermédiaires marquant le début des hostilités. Dans la zone sous les dévers, pas de végétation : quelques foyers circulaires, un sol gris et terre. À quelques pas, un tipi bricolé de quelques branches calfeutrées de mousse. La trace se ravise, retraverse la rivière. Doute. Ressurgit entre les racines terreuses d'un bouquet d'arbres arrachés. Dans la végétation luxuriante, je suis successivement des traces de cervidé, renard, pieds nus, chats (?!) ... Des chèvrefeuilles odorants pendent des rives. Des troglodytes mignons s'affolent à mon passage. Eh oui, désolée les gars... je suis humaine et maladroite, j'ai pas fait exprès... Les berges s'écartent, la forêt respire. Après un dernier passage mouillé et un regard à un petit canyon où nagent des crapauds, j'émerge dans un marée d'orties derrière le hangar d'une ferme. Les parfums changent du tout au tout. J'aime bien aussi ces odeurs de fumier, de foin, mêlées à celle des gros pneus de tracteur. Elles me font penser à mon grand-père. Une petite chèvre me lance des bêlements déchirants. Retour par la gorge remontée hier. Plus de batteries, déjà. Les draperies de mousse pendent et ondulent dans la lumière sans contraste. Je retrouve la souille, l'arche moussue, l'orchis, les silhouettes chimériques. Le vert tendre des feuilles. L'arbre fantastique à l'éventail de troncs. ... Puis le pré, le pont... et une dernière cascade dérobée. La curiosité me pousse à traverser encore une fois le cours d'eau pour y jeter un œil. La vue depuis l'arrière est ensorcelante. J'essaye de composer... Ah oui, c'est vrai, plus de batterie. L'œil dans le viseur, je cherche un utopique angle idéal. Ma dernière once de batterie, après un séjour au chaud dans ma poche, daigne me permettre une ultime série d'images, au petit bonheur la chance... Challenge une photo et quelques mots par jour : 116/365 - 26 avril
Le sentier trace son sillon à travers la pente sans se soucier de sa raideur. Tout droit. La silhouette qui me précède se dérobe presque à ma vue. J'essaye de suivre mais mes jambes ont atteint leur vitesse de croisière dans la terre défoncée. Je me sens souvent dépitée dans ce genre de contexte : ne pas réussir à accélérer alors que l'autre ne semble fournir aucun effort notable. Avoir l'impression de mettre trop d'énergie dans la marche pour prendre le temps d'observer. Sur les côtés, des buis moribonds se relaient. Quelques feuilles fusent des troncs glabres, comme un message d'espoir. Les hêtres forment un couvercle avec leur parure de ce vert printemps si intense. Au sol, mon regard s'accroche aux jeunes pousses chiffonnées, encore faînes il y a quelques jours. Des brins de muguet dépassent du sol couvert de feuilles brunes. Quelque part à droite, une dame donne de la voix, discute et appelle. C'est décidément bien bruyant, un humain, quand on y pense. Ses fanfaronnades exaspèrent mon compagnon au plus haut point. Moi, je ne comprends ni l'un, ni l'autre. Pourquoi parler aussi fort en pleine nature, au milieu des bois silencieux ? ... Et pourquoi s'énerver après quelqu'un qui parle fort, en prenant le risque de transmettre la colère comme un feu de broussaille ? Progressivement, la flore se fait plus alpine. Au muguet et aux sceaux-de-Salomon s'ajoutent des globulaires – j'adore leurs petits pompons bleus – et bientôt... des gentianes. Le bleu dense et sombre, indéfinissable, me happe dans ses profondeurs. Challenge une photo et quelques mots par jour : 117/365 - 27 avril