Toute la journée, il pleut. Si ça continue, bientôt, l'on aura plus qu'une saison sèche et une saison humide... J'ai la flemme de sortir, mais je suis heureuse de la revoir, cette eau qui tombe du ciel. La Nature boit tout son saoul et s'épanouit à toute vitesse. Lorsqu'il devient évident que rester davantage devant l'ordinateur ne sera plus d'aucune efficacité et que les ondées n'ont pas l'intention de s'arrêter, j'enfile un sac à dos, mes vêtements de camouflage trop larges par-dessus, et monte vers la forêt. Juste au-dessus, les nuages tanguent et tournoient, comme un mobile soutenu par ses ficelles de pluie. Un merle se perche sur le faîte d'un conifère devant l'arrière-plan blanc. Les sitelles font des allers-retours à leur loge du grand platane en retraite derrière son haut mur. Le sol vibre dans un bruit sourd : la falaise s'est encore délestée d'un bloc. Les gouttes font comme un xylophone sur les feuilles. Rapidement, j'atteins le bas du plafond. Le ruisseau contrarié, grisâtre, ronge ses rives. Une profonde flaque sploche au milieu du chemin. L'odeur des bois brûlés s'est un peu dissoute. Ne demeure qu'un parfum persistant de suie. Je quitte le sentier pour m'y enfoncer... et... non. La cendre est une vraie savonnette : d'abord, je n'arrive même pas à quitter le chemin. Un bâton calciné, charitable, m'érige une rampe qui m'aide un peu. Je m'arrête contre un chêne dont le tronc criblé de branches tordues se perd dans la brume. Puis sous un bouquet de pins. Leur résilience me fascine. Un tronc brûlé est effondré à leurs pieds, noir charbon. Le bas de leur écorce semble carbonisée, elle aussi. Les premières branches couleur sécheresse laissent place à un toupet vert sombre. La vie et la mort cohabitent toujours. Être en vie, c'est, par essence, prendre le risque de mourir. Et pourtant la vie continue ! Dans la forêt plus visiblement qu'ailleurs. Mais cette opposition est soudain si tangible... Le sol noir, semé de fruits grillés et de coquilles d'escargot trouées ; la brume qui étreint les troncs... et cette parure vert tendre, surnageant au-dessus. Quelle atmosphère atypique. Après force détours, j'atteins le sommet d'un monticule. Tout est mouillé. Les feuilles, le sol, mon sac, ma veste. L'appareil. Les mésanges à quelques pas. Moi. J'essuie l'objectif entre chaque photo. Le brouillard se disloque, emportant les imitations perturbantes d'un geai... et je me décide à redescendre. Je n'ai pas fait cinq pas que je suis par terre. Je glisse de troncs en troncs, dans un savant mélange de marche, de luge et de patinage artistique... avant de finir sur les fesses, de la terre incinérée plein les mains – et les manches trop longues ! J'imagine bien les (h)êtres se moquer. En rentrant chez moi, je me sens clown spongieux. Demain, s'il pleut, tant pis pour le camouflage, je mets des vêtements imperméables ! Challenge une photo et quelques mots par jour : 121/365 - 1 mai
Allongée sur la terre humide, je fais de mon mieux pour ne pas écraser la foule de pousses naissantes. Non loin, un soleil timide câline les pentes entre deux ondées. Les feuilles sont nombreuses, une foule de "Y", bras levés... mais les brins de muguet se laissent désirer. De rares clochettes, au ras du sol, parfument subtilement le tapis. Depuis un moment, je suis aplatie sans trop broncher près de cette tige fleurie, lorsque j'entends les feuilles craquer. Un animal descend vers moi. Je lève les yeux, essayant de ne rien bouger d'autre. Deux éminences arrondies dépassent du rideau de broussailles. D'abord, je pense à un chevreuil ; il y en a souvent par ici. Les deux bosses se précisent : émoussées, grisonnantes... c'est un lièvre, énorme, parsemé de poils gris... qui passe à quelques mètres, sans se presser. Je suis flattée qu'un si vieil habitant des bois passe si près sans même se méfier. Tout à coup un concert de chants d'oiseaux s'élève des arbres autour de moi. À croire que je viens de voir passer le chef d'orchestre. J'attends quelques minutes et abandonne mon brin de muguet, gambadant comme une gamine, le sourire aux lèvres. Challenge une photo et quelques mots par jour : 122/365 - 2 mai
Ce matin, après une semaine humide de répit, direction boulot. La clarté m'étonne, si vive à 7 h ! La falaise se dore déjà au soleil. La verdure est encore montée d'un cran. Elle a enfourné toute la forêt du bas. Reste la portion intermédiaire, ce genre de balcon suspendu ; et la touche finale : les crêtes. Encore quelques jours... Souvent, j'aimerais que chaque étape s'éternise, pour vraiment pouvoir en profiter. Au loin, les cirrus virent d’une couleur rose bonbon bien dense, à barbe à papa toute en filaments. Le soleil, donnant quelques coups de langue sur les montagnes, en soulève des postillons de brume. Bientôt un filet de brouillard monte et efface les sommets. Une bergeronnette, en pleine galère pour trimballer une brindille, m'accueille à l'entrée de la cour. La vigne gazouille. Le rosier aussi. Je retrouve mon capharnaüm avec un peu d'appréhension. Retour sous le soleil. Une petite session désherbage m'amène à mettre le nez sur la mare. Une foule de têtards y frétille toujours. Les gerris se fond discrets, sous l'eau quelques poissons fusent et des notonectes nagent la brasse. Et puis, sur les nénuphars, se balade un petit nouveau. D'abord, je crois voir un bébé mante religieuse. Mais sa tête est beaucoup trop petite, et ses pattes beaucoup trop maigres. Il se meut nonchalamment, traversant l'eau sans hésitation, sans même en froisser la surface. J'essaye de le suivre, appareil à bout de bras, en regardant l'écran... et puis dans le Live View, soudainement, ils sont deux. Ils se croisent sans se voir, marchent au hasard en suivant le bord d'un nénuphar, se retrouvent, s'escaladent. Derrière eux, le bokeh leur dessine une jolie banderole. Challenge une photo et quelques mots par jour : 123/365 - 3 mai