Dernière ligne Droite
3h25. Les phares transpercent l'air humide, dérangeant quelques bancs de vapeur. Un poids lourd, à plein régime, rattrape rapidement l’utilitaire chargé peinant dans la montée. Une aire de pique-nique s'ouvre sur le côté, et je m'y engouffre. Il est temps de dormir quelques heures. En une paire de mouvements étriqués, la couette et la couverture – qui me servira de matelas au pied des sièges – sont dépliés. 3h37. Dodo. Voilà ce qui arrive lorsqu'on essaye de remplir ses journées tellement à fond qu'elles finissent souvent par déborder. Pendant des minutes qui paraissent des heures, j'écoute le silence lacéré de vibrations de camions profitant de la nuit pour avancer. Un chauffeur met la radio, et éteint son moteur. Un autre redémarre.
Alors qu'enfin des rêves habituellement étranges m'emportent dans leurs élucubrations, une sonnerie résonne. Un mouvement au-dessus de moi m'indique que le réveil a dû être éteint. J'extrais mon téléphone : 6h30. Une heure trop tôt. Zut.
7h30. Nouvelle sonnerie, nouveau départ. L'ambiance encore sombre de l'aube laisse poindre quelques arbres décharnés. Sur la route, les véhicules sont plus nombreux. Déjà. Une boulangerie offre son lot de victuailles, et bientôt les maisons se resserrent, et le maillage des terrains tricote les quartiers résidentiels. Le local est là, caché derrière une maison aux volets clos... Dont les propriétaires, malades du covid, s'extirpent du lit pour venir nous ouvrir les portes.
Alors le tetris recommence, mais à l'envers. Il s'agit de démonter tout ce qui a si soigneusement été agencé hier. De haut en bas, du milieu aux bords, du fond au plafond. Les tours de Pise calées par le miracle de pièces hétéroclites – et sans doute un peu du Saint Esprit – ont tenu.
10h00 : un ami vient nous prêter main forte. Avec ses bras, sa gentillesse et sa bonne humeur. Il n'est pas de trop ! Ensemble, on remplit la pièce avec un tas de matière qui semble se dilater en sortant du camion, prenant toujours plus de place. Mais, après de longues heures d'allers-retours, miracle, le véhicule est vide !
13h30. Hélas, une pause ne s'impose pas. La location s'achève à 19h, il faut prendre le chemin du retour... À nouveau s'enchaînent les grandes voies et les petites routes, les bosquets et les pâturages. De longues descentes tournoyantes et des montées intermittentes. Avant la nuit tombe le brouillard, à travers lequel surgissent soudainement une forêt, une route, une voiture, un virage. Des érables jaunes se frayent une ouverture à travers de hauts épicéas.
16h30. Cette fois, c'est la nuit qui est tombée. Des meutes d'enfants aux cartables multicolores jaillissent de portails ouverts. Des tracteurs chargés pétaradent gaillardement entre les rangées de platanes.
18h. Enfin, la ville s'approche. Des points de lumières bariolées, des hauts troncs blancs qui se détachent comme de curieux esprits un peu translucides debout au bord de la route. Les gros bâtiments aux fenêtres carrées, les gens, les jeunes. Un cortège de manifestants qui protestent contre les violences faites aux femmes. Une poignée de voitures de police dans la pénombre. Des parkings payants.
21h. Un reste de pizza se laisse dévorer au milieu de la pièce presque vide, semée de quelques tas de bordel, qui fut la cuisine. Autour de l'évier, la faïence me scrute de tous ses carreaux formant par paire de gros yeux de lémuriens oranges. La petite tache en forme de belette est toujours attentive, accrochée en équilibre sur le dessus. Ne reste plus qu'à trouver un sujet, un bout d'inspiration...
Sur un mur, reste cette petite bête, qui ne souhaite pas déménager.
Challenge une photo et quelques mots par jour : 329/365 - 25 novembre