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Ambre de l'AlPe ~ Photographies

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  2. 2021 - 365

2021 - Une photo par Jour

Challenge 2021 : faire une photo "Nature" et écrire un texte chaque jour !
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  • Vervue

    Vervue

    L'année 2020 est passée comme un bolide. Tout en montagnes russes : des hauts et des bas qui défilent, se croisent, des bourrasques d'émotions fortes en pleine gueule, qui se succèdent ; si vite. Quelques ralentissements, des instants de respiration en atteignant les cimes, juste le temps d'un basculement avant de reprendre une course vertigineuse. Des rires et des haut-le-cœur. Et pourtant, en 2020, le monde s'est mis sur pause. Une toute petite chose est venue chambouler des certitudes, en étayer d'autres. Un grain de sable dans les rouages, la possibilité de freiner la machine, de prendre du recul, peut-être, enfin. Une chance de lever la tête du guidon pour regarder plus loin et voir le mur. Peut-être à temps pour freiner. Inventer pendant un "après", mieux que l'"avant". Ou pas. Vite, chacun a voulu reprendre le cours de sa vie. Parce que c'est bien de faire des efforts, mais il ne faudrait pas que ce soit trop handicapant non plus. On a des entreprises à faire tourner, des familles à nourrir, une économie "verte et solidaire" à relancer à grand coups de chiffres anonymes et énergivores. Du pain sur la planche. Le grain de sable s'est incrusté. Les rouages ont repris leur mouvement. Un peu plus saccadé. Grippé. Avec des soubresauts, des arrêts impromptus, des accélérations précipitées. Quelques ratés. Je vous souhaite une année 2021 sereine et positive. Émerveillons-nous de la beauté de la Terre... Rêv'éveillons nous pour trouver des solutions à plus long terme, histoire que la société tourne aussi rond que la belle planète qui nous accueille, et s'y accorde. Challenge une photo et quelques mots par jour : 1/365 - 1 janvier

  • Envolée avec des Ombres

    Envolée avec des Ombres

    Aujourd'hui, je trie des affaires dans la maison d'un grand-père. Tout est vite sens dessus dessous : chaque tiroir révèle son lot de bazar et de trésors. La tâche semble infinie. Je redoute ce moment où, la saturation aidant, l'envie de tout jeter commencera à se faire sentir. Chez moi, qui garde ou donne "tout ce qui peut encore servir", il y a un vaste délai. Une patience en forme de refus de gaspiller. Mais, inévitablement, je finis par me sentir submergée. Il est temps de prendre l'air. Une bise glaciale déferle entre les champs détrempés et le ciel uniforme. Hier, la neige a habillé les hauteurs, mais les plaines sont restées embourbées. J'erre au bord d'une route de campagne. Un plan d'eau à droite. Une grande aigrette s'envole dans un pré voisin. Des merles et des mésanges piaillent dans les haies. Quelques oies naviguent négligemment entre les colverts, soulevant parfois la tête pour envelopper l'étang d'un bruit de klaxon moqueur. L'éclair bleu métallique d'un martin pêcheur longe la rive. Finalement, je m'arrête, hypnotisée par le vol si particulier d'un simple petit essaim d'étourneaux. Challenge une photo et quelques mots par jour : 2/365 - 2 janvier

  • Coup de Théâtre

    Coup de Théâtre

    L'asphalte défile. Des pâturages, des clôtures, des champs boueux. Des baraques, des arbres, des bouts de plastique. Quelques hérons qui pataugent, des buses plantées sur des piquets, un vol de cigognes. Des silhouettes camouflées, des aboiements, des coups de feu sourds. Je me sens apathique, nonchalante, inefficace. Quelques minutes de détour et nous atteignons le bout d'une route. Un sentier s'allonge jusqu'à un petit pont grillagé devant une cascade. Autour, les branches dégoulinent de mousse. L'effet brumisateur géant me ravive : je galope, m'enthousiasme, m'approche au plus près du jet. Depuis l'arrière, les ruissellements prennent une autre ampleur. Le vacarme de l'eau submerge tout, des gouttes imprévisibles bondissent du plafond stratifié. La foule des arbres décharnés salue de l'autre côté du rideau. Challenge une photo et quelques mots par jour : 3/365 - 3 janvier

  • Infrarouge

    Infrarouge

    Du blanc. Le jour se lève au-dessus de Grenoble. Le ciel grisonne, soulève paresseusement quelques bourrelets gelés, découvrant des pentes immaculées. À nouveau, la chape de nuages s'affale. Puis se redresse un peu. Je colle le nez aux fenêtres du boulot. Car oui, en ce moment, je suis aussi salariée. Je fabrique et emballe des livres photo – il y a pire n'est-ce pas (!) – pour quelques temps encore : au moins cette année, sans doute. Un peu de piment en plus dans le challenge... En fin de journée, je prends le chemin des bois, en contre-haut de chez moi. Le ciel se frotte toujours aux falaises sur lesquelles la forêt bute. Je sais que certains sommets dépassent, mais il est bien tard pour monter. Quelques centaines de mètres, et les buissons se couvrent de gouttelettes. Les plus gros arbres esquissent des formes tentaculaires, blanchies, dans le fatras brunâtre des ramures. Personne. Rapidement, les branches deviennent blanches. Les troncs saupoudrés s'enfoncent dans un tapis de fougères roussies. Plus haut, un pic épeiche cogne dans le silence. Quel plaisir de le recroiser ! Ce bosquet transi contraste avec le sol noir et les rocs qui s'abîment dans l'atmosphère chargée. Challenge une photo et quelques mots par jour : 4/365 - 4 janvier

  • Le Bonheur des purs

    Le Bonheur des purs

    Quelques flocons virevoltent dans le faisceau de ma frontale. Je leur souris. Quoi de mieux pour commencer la journée ? ... L'après-midi est déjà bien avancé lorsque je prépare un sac photo à l'arrache et plonge dans la voiture. Ce doit être la première fois en plus d'un an que je prends un véhicule motorisé pour une sortie personnelle en montagne. L'an dernier, tout démarrait à vélo, dans le cadre du projet lié à la bourse Iris – et de mes convictions. Cette année, le challenge est une bonne excuse : je vais m'autoriser quelques écarts. Rapidement, les arbres sont saupoudrés. Un décor de film. La balade commence bien : une piste damée, et vite un panneau "interdit aux piétons". Arg. Demi-tour : la trace se faufile dans la forêt meringuée. Je fonce, m'enfonce, souffle, patauge. Il faudrait vraiment qu'un de ces jours j'apprenne à skier ! Le soleil se couche dans à peine une heure. Le brouillard se teinte vaguement de bleu. J'émerge entre deux vagues, devinant à l'horizon quelques écueils blanchis. Une couleur rosâtre semble imprégner la pente juste au-dessus. Trois skieurs donnent l'échelle, points qui coulissent un peu plus haut. Le rose se fait plus franc. Puis carrément fluo. Les skieurs s'arrêtent, contemplent, sortent leur téléphone. Je ne suis pas encore sur la crête, j'admire, hésitant à tout sortir ici, maintenant. J'extrais le boîtier, le trépied, fais une photo qui ne ressemble à rien, me résous à continuer. Trépied sur l'épaule, bâtons dans une main, un pull coincé dans une sangle, je marche entre les traces de descente. La neige retient mon poids, puis s'effondre : j'en ai jusqu'aux genoux, et l'impression de poser les pieds sur une savonnette : le fond s'esquive à chaque pas. Enfin me voilà sur la crête. L'Ouest est encore en sang, mais l'heure bleue enveloppe déjà le reste du paysage. La nuit tombe. Tout est glacé et calme. P.S. : je regrette de ne pas pouvoir vous partager une photo de ma tête en rentrant : j'ai moi-même ri de ma tignasse hirsute et blanche ! Challenge une photo et quelques mots par jour : 5/365 - 5 janvier

  • Bloody Mary

    Bloody Mary

    Aujourd'hui, l'océan de nuages est encore monté d'un cran. Les graphismes de la falaise peinent à émerger. Sporadiquement, une suite de lignes tordues qui s'entrechoquent donne une structure au blanc vaporeux. Un genre d'armature pour soutenir les nuées. Je prends à nouveau le chemin des bois : l'église, la route qui grimpe, le Ford Transit militant couvert de slogans... le panneau "expression libre", les escaliers longés de trottoirs, le vieil arbre calfeutré à la mousse jaunâtre, la dernière maison. Il n'a pas reneigé, mais les grosses branches tressent toujours leurs entrelacs blanchis. Le grognement d'une tronçonneuse résonne. Un rouge-gorge se pose à quelques mètres, m'observe, s'envole. Des mésanges se répondent, et, pas si loin, le pic épeiche tourne autour d'un tronc. Je poursuis vaguement une piste d'ongulés, décide de monter voir plus haut. Des pépiements semblent s'échapper d'une bosse, juste au-dessus. Ou juste après. Ou un peu plus loin. Ou... L'obscurité gagne du terrain. Dans le fond, la ville s'allume. Un froufrou d'ailes derrière moi : un rouge-gorge grappille quelques baies dans un arbuste. Il cabriole, pirouette, volette. Redescend sur le sentier casser sa graine, fonce en chercher une autre. Encore une... et hop, le voilà disparu. Challenge une photo et quelques mots par jour : 6/365 - 6 janvier

  • Incursion dans l'Incertitude

    Incursion dans l'Incertitude

    En rentrant, j'ai trouvé dans ma boîte mail une mise en demeure des impôts pour ne pas avoir retourné le formulaire qu'ils m'avaient envoyé. Ce formulaire, je ne l'ai pas retourné car le premier encadré de la notice explicative indiquait "Cette déclaration ne concerne que les créations ou reprises d'établissements redevables de la CFE [...]" Comme je suis restée moi-même l'an dernier et que je n'ai ni créé, ni repris une autre entreprise, j'en étais restée là. En lisant plus attentivement les informations me concernant, il semblerait plausible que je sois pour eux active dans le secteur du "nettoyage des rues et déneigement". Je me disais bien que j'avais loupé ma vocation (!). Le temps d'envoyer une réponse interrogative sur le pourquoi du comment, de rejeter un œil à la falaise toujours couronnée de gris dehors, de consulter des webcams pour finalement décider de retourner me perdre en forêt... La falaise se découvre. Changement de plan. Quelques rayons dorés transpercent la mer de nuage dans la montée. Au début du sentier, un orange persistant stagne à l'horizon. Puis les pentes me camouflent la vue. Graduellement, la forêt se métamorphose. À la neige s'ajoute le givre, une dentelle d'aiguilles impalpables défiant la gravité. C'est si beau... Je voudrais retenir mon souffle de peur que tout s'envole. Les cristaux de glace s'allongent encore. Quelques images rapides d'un groupe de sapins, "au cas où". J'aurais envie de rester là des heures. Soudain, des voix. C'est bruyant, des humains, quand on y pense. Une discussion enjouée, qui sort de nulle part. Les voix arrivent en haut avant moi. Le soleil est déjà couché, la crête touche le fond de la mer de nuages, de la ville émane une lumière orange et sinistre. Deux gars discutent –toujours – sur un monticule. J'essaye en vain de croiser un regard, puis les contourne avec la discrétion d'un pachyderme. Ils ne semblent pas me voir. Quelques minutes plus tard, ils me croisent – à genoux dans un lacis de troncs – et me saluent. "Vous ne nous avez pas pris en photo ? - Non... - Non c'est parce qu'on était nus." Ah. Quelle curieuse journée, décidément ! Un peu plus loin, l'une des voix s'interroge... : "Imagine elle aurait dit oui... t'aurais fait quoi ?" Challenge une photo et quelques mots par jour : 7/365 - 7 janvier

  • … Deviendra Baobab • Rêvalités

    … Deviendra Baobab • Rêvalités

    Aujourd’hui, j’ai fait ma MA. Mirliton Aphone ? Marche Automatique ? Myopie Amorphe, Misogynie Archaïque ? Non non, simplement Mauvaise Action. On parle tant des "BA" ; comme si d’un mouvement de baguette magique elles pouvaient faire l’impasse sur notre passif douteux. Est-ce qu’une "MA" estompe tout ce qu’on a fait de positif ? Aujourd’hui, je suis allée à la déchetterie. Vous savez, cet univers surréaliste constellé de bennes et de mecs qui vous disent "Faut pas y craindre, on va tout y enfouir !" ou encore "Vous ne savez pas où mettre ? Encombrants." "Non non, on ne peut rien vous laisser récupérer !" Ce vortex nébuleux qui engouffre sans sourciller nos cadavres et nos ébauches de remords pour nous permettre de renter à la maison avec une conscience toute neuve, libérée, vierge. Ce lieu improbable, je l’ai découvert vers mes 20 ans. C’est le seul endroit où des envies meurtrières m’étreignent. Dans les réceptacles gisent au cœur du chaos des meubles utilisables, de la vaisselle neuve, des tréteaux convoitables, des fenêtres intactes mal dimensionnées, des jeux dépassés. Tant de merveilles irrécupérables qui s’entassent, s’abîment avant de disparaître. Reset. Comme si nos déchets, en détournant un instant le regard et en les posant sur la case "Evanesco" allaient soudain, d’eux-mêmes, se dissoudre dans l’éther. Comme si la case "récup’" ne valait pas le détour ou faisait perdre des points d’estime. J’aime beaucoup les contes de fées, mais je doute que les choses se passent tout à fait ainsi. Mais j’y suis allée. En essayant de limiter la casse, en tentant de trier au mieux. Bien plus que l’auraient fait certains ; bien moins que d’autres sans doute. En espérant qu’un de ces jours, la neige en fondant ne dévoile plus aucun résidu navrant. Qu’on saisisse une occasion de comprendre que le meilleur déchet, c’est celui que l’on ne produit pas. En attendant, dehors s’étend un spectacle d’une pureté fascinante… Une succession de sculptures de brume et de givre. Challenge une photo et quelques mots par jour : 8/365 - 8 janvier

  • Lambeaux d'Automne

    Lambeaux d'Automne

    Ce matin, je me lève du mauvais pied. La neige fondue tartine une compote détrempée sur la chaussée. Le roues de mon vélo y creusent des sillons liquides. J'arrive maussade dans mon local désordonné. Les premières paroles échangées n'améliorent pas mon aigreur. Comme un mantra, je me répète une citation de Bouddha : "Rester en colère, c'est comme saisir un charbon ardent avec l'intention de le jeter sur quelqu'un ; c'est vous qui vous brûlez." C'est vrai, à part à propager une onde de mauvaise humeur, à quoi me servira de faire la tronche derrière mon masque ? En fin de matinée, je retrouve un bout de sourire en rangeant. Puis la journée cavale trop vite... Voilà qu'il est déjà 16h. Sac au dos, j'enfourche ma bicyclette pour... Oh, dans la haie, une mésange bleue cabriole ! Elle est si mignonne ! Le sac est vite reposé à l'intérieur. La mésange s'est esquivée. À la place, à quelques pas de la porte, un merle et un moineau se content fleurette, des reliques de feuillage en guise d'ombrelle. Jusqu'à la nuit, je joue à cache-cache avec les passereaux sous la pluie. Une petit moment de plaisir, chaleureux, tout en demi-teintes et en gazouillis dans la brume. Challenge une photo et quelques mots par jour : 13/365 - 13 janvier

  • Jardin d’Hiver

    Jardin d’Hiver

    Quelque part sur un autre plan, une radio s’allume. Je me concentre. Je suis en train d’assister à une conférence du mouvement des colibris sur la thématique de l’accueil des personnes âgées dans une société écologiquement responsable. Il fait sombre, une scène est éclairée, un courant d’air doux et estival enveloppe l’assemblée. Au premier rang, sur une toute petite chaise de bois paillé, mon cousin est happé par les discours. La soirée s’éternise. Les informations sont cruciales mais je n’arrive plus à m’en rappeler. Tout à coup, je me rends compte que la plupart des spectateurs est endormie ou a disparu. La lumière tamisée éclaire des rangées de chaises vides. La radio lointaine dépêche un fatras de nouvelles. Des histoires de Trump, de covid, de vaccin, de froid, de Twitter. Actualités d’un monde aux abois. Ah oui. On vide une maison aujourd’hui. La radio, c’est le réveil. À travers le volet, l’aurore se fraye timidement un passage. À moins que ce ne soient les lampadaires. Des oiseaux sautillent déjà discrètement dans la haie. Au loin, un chien jappe. Le froid a tout engourdi. Des corneilles patrouillent, des pies bavardent, des mésanges discutent. Au moindre son humain, tout retient sa respiration. Puis le ballet des oiseaux reprend. À nouveau un petit rouge-gorge, brièvement, avant de décoller. Challenge une photo et quelques mots par jour : 9/365 - 9 janvier

  • Cul-de-Sac

    Cul-de-Sac

    Ce matin, je m’attaque au déblayage d’un cabanon de jardin. Moi-même experte en accumulation et bazar de formes variées, j’ignorais pourtant qu’un lieu si étriqué pouvait contenir une telle quantité de choses. Le petit local est recroquevillé sous un vieux chêne. Le froid a givré les herbes ; des ailettes de cristal hérissent les surfaces métalliques. Sculptures éphémères jusqu’au premier rayon… À l’intérieur, un magot hétéroclite. Une chaussure, à l’abandon, a servi de poubelle de table à un rongeur. À l’arrière s’entasse une collection de pots de fleurs vides. … J'inspecte. Je creuse. Enfin, j’aperçois le fond du monticule : un vieux seau blanc en équilibre sur deux jardinières en terre. Une fissure au fond du seau. Irrégulière, grignotée. Tiens, une souris a goûté. Mon regard est attiré par un mouvement. D’une des cavités circulaires d'une jardinière dépasse un museau hérissé de moustaches. Le petit nez tremble, frémit, disparaît. Resurgit. Des petits doigts pointus se reposent sur le rebord, le museau ressort. Un œil noir se colle au judas. Un autre nez vient pousser le premier, pour mieux voir. Le premier replonge. Sort par le second trou. Mon pot – qui est manifestement une chambre cosy – est désormais orné de deux nez moustachus et tremblotants. Irrégulièrement, les nez s’interchangent, s’effacent, des petits yeux scrutent par les trous. Je suis navrée de mettre à la rue les habitants de ce nid douillet l’un des jours les plus froids de l’hiver… La jardinière y est encore. Laissons-leur le temps de déménager. Challenge une photo et quelques mots par jour : 10/365 - 10 janvier

  • Le Cimetière des Éléphants

    Le Cimetière des Éléphants

    En quelques jours, le froid a figé les étangs. Quelques hérons gonflés déambulent encore autour des fossés gelés ; les autres ont déserté. Le ciel grisâtre écrase le paysage déjà presque plat. Depuis longtemps, je voulais aller voir ces arbres incroyables. Presque aucun détour : l'occasion est trop belle. Le soleil, qui a fait grève toute la journée, effleure un tertre rachitique un peu plus loin. Me voici allongée devant une patinoire qui enserre une forêt de pattes d'éléphants, encore ébouriffée de quelques touffes de poils rêches couleur mammouth saturé. Le relief des troncs est fascinant. La mousse et le lichen laissent nues quelques parcelles d'écorce plissée. Une vieille peau maculée et ridée. Les troncs rectilignes s'élargissent et se froissent vers le bas en touchant la glace. La lueur de l'heure dorée se réverbère sur la surface durcie. Au fond, dans les roseaux, quelques canards se marrent. Comme un clin d'œil, un petit rouge-gorge se pose juste à côté de moi. Challenge une photo et quelques mots par jour : 11/365 - 11 janvier

  • Les Crocs de l'Abîme

    Les Crocs de l'Abîme

    Les premiers flocons arrivent plus tôt que prévu. Blanc sur gris. Aujourd'hui, ce n'est pas vraiment mon jour. J'ai commencé par oublier mes chaussures de marche et remonter les chercher. Au travail j'ai appris que nos cartons tout frais – pour utiliser moins de plastique lors de l'envoi des livres – ont un défaut : il faut chercher de nouvelles méthodes chronophages pour compenser... Enfin, je prends la route sous la neige. À peine ai-je marché 100 mètres que déjà, je suis engagée sur le mauvais sentier. Me voilà dans un pré, dont je finis par m'arracher en forçant le passage d'une haie entre ronces et barbelés – avant de découvrir une barrière dégagée un peu plus loin. Un pont surplombe des gorges sinueuses. Je m'insinue jusqu'au fond, lance une photo test... "Erreur : communication défectueuse entre l'appareil et l'objectif". Arf. Ce problème, rare il y a encore quelques semaines, est devenu presque systématique. Il va falloir agir. Extinction du boîtier, ... rebelote. Flûte. La troisième tentative est la bonne. ... Vite, un coup de mouchoir sur le filtre pour déloger les flocons. Mais l'appareil s'éteint : plus de batterie. Là au moins, j'ai la solution : hop, je remplace la batterie vide par une batterie de secours... vide. Et m**** ! Bon. Pas de panique. Il n'y a plus qu'à réchauffer les batteries et croiser les doigts pour que cela suffise... Me voici en équilibre sur un rocher verglacé, à jongler entre mes batteries à l'agonie, mon appareil trempé en erreur, mon mouchoir qui, rapidement, est inondé, et, touche finale : la buée. Cette fois, j'abandonne. Tant pis. Voici donc une photo loin d'être peaufinée. Je bougonne, mais les lieux étaient superbes. Géniaux, incroyables. L'eau turquoise ondoyaient entre des parois moussues dont les reliefs étaient saupoudrés. D'au-dessus, la perspective était faussée, perturbante. Vertigineuse. Des stalactites gigantesques dégoulinaient des surplombs. Sous ces lames sculptées, des stalagmites se hissaient parfois vaillamment dans le lit du cours d'eau, goutte à goutte. Juste à ma verticale, les toits donnaient naissance à un ange, modelé dans la glace translucide, les ailes grandes ouvertes. Comme prévu, le temps se réchauffe. L'essaim de flocons se fait plus compact. Un banc de brouillard s'infiltre dans le canyon alors que je quitte les lieux. Un troglodyte mignon se planque dans des racines devant mes pas. Dans la vallée, la neige tombe en un épais rideau piquant. P.S. : La prochaine fois que je sortirai dans le froid – genre demain – n'hésitez pas à me rappeler d'emporter deux batteries... pleines... ! Challenge une photo et quelques mots par jour : 12/365 - 12 janvier

  • La Danse des Ombres

    La Danse des Ombres

    Ils sont amants, ou peut-être sont-elles sœurs. Iels sont nés faînes ou glands pour finir vieilles branches. Iels veillent et s'assoupissent auprès de leurs hêtres en-chênés. Iels sont dépourvus de genre, iels existent sans papiers – et n'existeraient plus s'iels en devenaient. Je crois qu'iels s'en fichent. Autre chose à faire d'une vie en Terre. Survivre à l'hiver, danser sous la pluie, encenser la nuit. Une vie à deux, à s'enlacer, se supporter, se soutenir ; s'écarter un peu, pour se laisser vivre. Elle se déhanche, ondule, lève un bras comme pour saluer. Sa coiffe de lierre tressaute. En face, l'autre profil se lâche. Bras levés, une tignasse feuillue jetée en l'air par l'impulsion. Je m'allonge à leurs pieds. La chorégraphie s'éternise. Dans leur temps, je n'ai fait une pause que d'un quart de soupir... Plus loin dans le sous-bois magique et embrumé, un claquement alarmant résonne. Pensant à un chasseur, j'écoute, aux aguets. Dans la nature, je me sens proie. Le brouillard ne laisse rien paraître. Puis un autre craquement, plus profond, plus précis. La falaise se déleste de quelques rochers et blocs de glace. Les éboulements se multiplient, de plus en plus nets, menaçants. Le dernier se mue en un long rebondissement qui finit en dégringolade. La montagne chasse ses intrus. Je rends aux arbres leur intimité. Challenge une photo et quelques mots par jour : 14/365 - 14 janvier

  • Au-Revoir là Haut

    Au-Revoir là Haut

    Un bon moment, je papillonne autour de la maison. Des chardonnerets égayent les hauteurs des platanes. Les merles se font discrets dans les charmes. Une mésange bleue miniature se suspend fièrement dans un buisson échevelé et s'époumone. Sa tête paraît gigantesque, disproportionnée. D'un arbre à kakis émane une mélodie criarde presque continue. Un jour j'oserai demander aux voisins si je peux me planquer sous leur plaqueminier pour regarder les oiseaux faire bombance. Mais pas aujourd'hui. Au loin, vers le Vercors, une vague de nuées précède un curieux halo doré. La vague déferle. Le ciel gris se traîne par terre. Puis quelques trouées éclosent, de plus en plus haut. Un fragment de bleu se laisse même deviner. La crête, ébouriffée de résineux blanchis, paraît dans un hublot. Puis ce sont des strates de la falaise. Des peluches de coton s'accrochent au relief. Des lopin de forêt émergent d'un courant de moutonnements. Je traverse la route pour entrer dans le cimetière. Les morts, couverts de fleurs, ont une vue plus dégagée que les vivants barricadés de hautes haies. Entre les tombes, un minuscule oiseau froufroute. Mon œil s'arrête sur des noms, des dates. Curieusement, je me sens souvent sereine dans les cimetières. Tant de gens partis, tard ou tôt. Des vieillards, des gamins. Des ascètes et des fêtards ; des sages et des combattants ; des intellos et des imbéciles. Et souvent tout ceux-là à la fois. Tout finit, un jour... Au-dessus se révèle la puissance des lieux. Des éboulements dévalent toujours. Le mur, écrasant, poudré, dont les reliefs se détachent comme autant de statues, impose le respect. Challenge une photo et quelques mots par jour : 15/365 - 15 janvier

  • Le jour des Corneilles

    Le jour des Corneilles

    Ce matin, je comptais allez crapahuter au-dessus de la mer de nuages. J'avais calculé : avec un réveil à 4 h, c'était bon. ... Mais, atteinte d'une flemmardite aigüe, j'ai lâchement abandonné l'idée. À l'aurore, c'est marée haute. Les chaînes se montrent sous le plafond, parfois entre quelques remous. Des nappes floues naviguent entre deux flux. Le bleu domine. Outre-mer. Azur. Polaire. Une histoire d'interprétation et de décalage horaire. Ou simplement d'instants... Le soleil met longtemps à arriver. Il caresse d'abord la surface, loin, tout là-haut... Colore les dépressions, épouse les bosses. Dans l'éther s'opposent et se mêlent des courants froids et chauds. Comme au ralenti, l'astre déborde enfin du rempart cranté d'en face. Il se pose dessus, roule un peu, s'étouffe dans un nuage gris. Dans les branches nues, une pie fait la pitre et des corneilles croassent. Leurs voix rauques glissent dans l'air froid. Des pentes plâtrées surgissent entre deux étages. Le soleil fore les nuages. Éblouissant, cercle parfait, il fait juste la taille des oiseaux. Je me décale en catimini. La corneille penche la tête, me jette un coup d'œil interrogatif puis reprend sa position de girouette. Je mitraille : les cimes, les branches, l'oiseau. Ce n'est pas la photo la plus aboutie, ni la plus spectaculaire, de loin... mais le moment me plaît bien... Challenge une photo et quelques mots par jour : 16/365 - 16 janvier

  • Incons(is)tance

    Incons(is)tance

    Ce matin, la rue est blanche. Je bondis de joie devant la fenêtre. Hélas, j'ai des travaux virtuels qui s'accumulent. Et en ce moment, quand j'ai trop de choses à faire, je buggue. C'est à dire que, déterminée, je m'attaque à de multiples tâches simultanément, traite l’urgence tout en entamant vaguement autre chose, en déviant sur des imprévus ... et qu'à la fin, je me rends compte que je n'ai pas progressé. Et que le lendemain j'aurai encore plus de trucs à faire. Et ainsi de suite. Dans l'après-midi, sans avancée notable sur quoi que ce soit, je mets enfin le nez dehors. La pluie imbibe la neige, qui n'est plus qu'une vieille moquette mouillé. Un bout de nuage ruisselle de la Chartreuse et bute sur le haut des villages. Quelques silhouettes en imperméable marchent vite, des enfants rient et pataugent dans les bas-côtés. Un homme qui pousse une poussette en forme de remorque de vélo, un gamin endormi à l'intérieur, s'émerveille de ma protection d'appareil en sachet plastique. Des bonshommes de neige ventripotents à l'air jovial veillent leurs terrains. Quelques cyprès aux mèches rebelles donnent un peu de caractère aux ruelles, entre les haies rasées de près. J'atteins sans y penser un petit coin de bois échoué entre les quartiers résidentiels. Le brouillard est à couper au couteau. Les troncs s'étirent entre la terre blanchie et le nuage, leurs panaches de branches glabres disparaissant dans le ciel incertain. C'est beau. Les troncs mouchetés s'effacent peu à peu... Challenge une photo et quelques mots par jour : 17/365 - 17 janvier

  • Immensités Glacées

    Immensités Glacées

    Ce matin, pluie et neige ont regelé. Tout est patinoire. À votre avis, qui donc a laissé son vélo dehors ? D'abord, rien ne bouge, même pas le guidon, scellé par la glace. C'est mal barré. Les roues se décollent, le guidon tourne, les... manettes de frein ne remuent pas. Pour descendre vers la vallée, ce n'est pas pratique. Un pied sur une pédale, l'autre en guise d'accélérateur/frein – sur la patinoire, donc – me voilà enfin en route. Ça va bien finir par dégeler. Les montagnes se découvrent un peu partout, se dévoilant dans l'aube bleutée. Tout a l'air somptueux. Ma tête se perd en haut alors que mon corps s'évertue à descendre tant bien que mal. Je croise quelques oiseaux et des regards masqués. ... J'arrive en retard, en trottinette. Dans la journée, des rayons de soleil daignent revigorer – et redonner sa fonction à – mon moyen de transport. Le soir, un filet de nuage serpente lentement à mi-hauteur. Au-dessus de moi, il s'évanouit doucement avec les dernières lueurs. Ces immensités glacées, c'est juste en face de chez moi. À la fois si proches et si lointaines. Si accessibles et si inabordables. Si géniales, juste-là, à quelques pas ! Dire qu'au fond de la cuvette, là-bas en ville, nombreux sont ceux qui ne s'y risquent pas... Par peur ? Envie d'ailleurs ? La beauté fait-elle tellement partie du quotidien que l'on ne la voit même plus, confondue dans les journées moroses ? Le soleil quitte tranquillement la scène, offrant à l'hiver ses couleurs chamallow. Le rose déteint dans le violacé qui évolue peu à peu en heure bleue. L'horloge sonne six heures. Challenge une photo et quelques mots par jour : 18/365 - 18 janvier

  • Le Papillons de Babylone

    Le Papillons de Babylone

    Mes pas font un vacarme épouvantable dans le fond de neige regelé. Bonjour la discrétion ! Autant que possible, je me coule entre les bandes de terre humide... mais rapidement tout le sol est couvert d'une croute glacée. Un merle finit par me piailler une alerte bruyante. Je crois qu'il m'engueule. Des mésanges aux multiples formes se poursuivent dans un buisson touffu, l'air de rien. Je passe par le coin du chasseur. Ses traces mènent à un piège photo, fixé à hauteur avec un petit tendeur. Un de ces jours, ce serait bien que je cache un piège pour observer ce qui se trame ici ! J'évite le champ de déclenchement, n'en vois pas d'autre... Sur une bute, des pistes se croisent et se rejoignent. Chevreuils, sanglier, blaireau, renard, et un petit mustélidé. Il y en a du monde... Il va falloir que je prenne le temps d'avoir la patience d'apprendre à attendre... La cascade du dessus crachote dans un torrent engourdi. Quelques ardoises dérapent sur le toboggan neigeux. Pas de traces de chamois comme je l'espérais. Dans le fond de la vallée, les villes s'allument. L'heure bleue imprègne les montagnes... Puis le ciel... Les lumières multicolores papillonnent à travers les branches : une armée de lampions, ou un amoncellement de lucioles déboussolées. La rocade dessine un long ruban qui défile, elle me fait penser à une invasion de chenilles processionnaires. Un chevreuil aboie en contrebas. Un éclat de Lune timide éclaire mes pas. Puis les réverbères, éblouissants après l'obscurité. Challenge une photo et quelques mots par jour : 19/365 - 19 janvier

  • Quatrain

    Quatrain

    Il était une fleur au demi-jour naissant Qui tremblait, s'affolait, tourmentée par le fœhn ; Alors que les arbres, rodés et prévoyants Ne bronchaient même pas. Inquiétude de jeunes ! La fragile fleurette se dit en un souffle : "Trop tard : à peine née me voilà cisaillée... Dans un vain soubresaut en plein cœur du baroufle Je serai arrachée. À cent lieues de l'été..." Et si la nouveauté n’était pas obsolète Si le chêne au roseau n’était pas préféré Et si au fond notre douce et calme fleurette Du tumulte violent se voyait épargnée...? Challenge une photo et quelques mots par jour : 20/365 - 20 janvier

  • Laisser Couler

    Laisser Couler

    Une chose étrange que la colère. Une émotion sournoise, impétueuse, qui vous corrode de l'intérieur, en douce. On la laisse parfois s'installer, sans faire gaffe. On lui fait une petite place, par là, entre les a priori et le jugement. Elle entre en dormance. C'est une nappe de magma entre deux éruptions : on l'oublie presque car on ne la voit plus. Elle a refroidi, en surface... Quelques petites soupape de sureté sifflotent un peu de vapeur ardente dans leur coin, brûlant ceux qui s'en approchent trop. Mais il suffit d'une pichenette, une étincelle ; un maux mystérieux et soudain tout explose. Hier, j'étais en colère. C'est pas mon truc, la colère. Trop fulgurant, trop violent, trop irrémédiable. D'un coup de colère on peut briser des années de quiétude. En plus, ça se postillonne, se répand, se propage, c'est contagieux. Et trop vite on en arrive à la baston, au fusil de chasse ou au sous-marin nucléaire. Je suis plus tristesse : ce sentiment de fondre, se liquéfier de l'intérieur sans tout éclabousser. Pas génial non plus. Mais bon, ça arrive. Aujourd'hui, je remonte chez moi par les chemins de traverse. Il en reste tellement que je n'ai pas sillonnés ! Au pif, je m'infiltre entre deux maisons : une sente longe le ruisseau des gués. Les rives instables s'érodent dans le cours d'eau, les arbres s'entrechoquent tout autour, secoués par les rafales. Je croise une dame entre deux âges. Ses yeux pétillent : "Vous connaissez ? C'est la première fois que je passe par là. On se croirait en pleine montagne ! J'ai marché au hasard... Il y a tellement de chemins à découvrir ! J'adore." Ses mots illuminent ma journée – les derniers résidus de colère s'évaporent. Au fond de la rigole, la rivière rebondit de palier en palier. Des bouffées de feuilles m'arrivent en pleine figure. J'aime beaucoup cette ambiance cloîtrée, dissimulée entre les pentes éboulées couvertes de mousse et de lierre. Challenge une photo et quelques mots par jour : 21/365 - 21 janvier

  • L’Or et le Noir

    L’Or et le Noir

    Journée sprint. (Dé)chargement de fourgon, boulot, route. La pluie tombe en cordes serrées. Mon fidèle camion n’est pas allé loin depuis longtemps : il avance courageusement mais les balais d’essuie-glace rendent l’âme… Un flou gaussien et fluctuant submerge le paysage. À travers le rideau liquide, des crêtes se superposent : dégradés multiples et successifs… Opaque ; abstrait ; dissout. Sombre et dense ; allumettes de troncs brunâtres sur fond de neige ; neige et vagues strates de roche ; ciel. Des nuages débordent de toute part, s’enroulent, s’écrasent. Je reste happée un moment par les dernières chaînes, regard ligoté au relief. Le ciel, compact, épais, noir, transforme le jour en nuit. Rapidement, les phares des voitures éclairent des ondes de pluie qui se jettent sous les roues par à-coups. Sur la droite, les reliefs refont une apparition, à moitié engloutis dans une brume opaque. Quelques arbres se détachent sur la toile de fond avant qu’elle ne les gobe. Un arrêt de 5 min… Mais déjà, les nuages ont remodelé le paysage, l’averse se fait encore plus inondante, et il faut vite redécoller : fichu couvre-feu. L’arrivée. Quelques minutes de retard sur les nouvelles mesures. Tant pis. Pluie et vent mêlés dansent dans les rues désertes. Je ressors, divague un peu. Un buisson décoré de gouttelettes attire mon attention, puis une pâquerette solitaire. Enfin, sur le macadam, dans une fissure, un mouvement m’intrigue. Des graminées palpitent sous les lampadaires. La lumière et l’eau mêlées les habillent d’une parure d’or qui frissonne et scintille. Il fait froid, je suis trempée. Mais c’est joli. Je m’agenouille devant les résistantes à l’invasion du goudron. Et dire qu’on ose parler d’or noir… Challenge une photo et quelques mots par jour : 22/365 - 22 janvier

  • Le Chêne et le Réverbère

    Le Chêne et le Réverbère

    Ce matin, le ciel bleu m’étonne. Mais précipitamment, sournoisement, une couche de voile épais a à nouveau envahi l’espace. Il fait presque chaud, le vent s’est tu. Je démonte une cabane sous le débat gazouillant des mésanges, qui foisonnent dans le verger du voisin. Elles cabriolent, rebondissent, bifurquent et se rejoignent… Leur chant fait une joyeuse jacasserie discrète en toile de fond. Leurs queues emplumées jonglent dans les branchettes. Pour désassembler, je me résous à arracher la couverture du toit. Les tuiles molles et goudronnées sont couvertes d’un assortiment de mousses… je détruis un monde. Combien d’habitants dans cette forêt minuscule qui croît depuis vingt ans ? Autant que possible, je laisse les végétaux sur place – sans le goudron. Trop rapidement, la journée file, et le couvre-feu se pointe avec la nuit. Me voici chez ma belle-mère. J’ai toujours aimé ce chêne, au coin du terrain. Magistral, tortueux. Imaginez. Il a sans doute vu la construction des maisons. Le passage des friches au gazon, du bazar autonome à l’entretien soigné. Il a vu le cycle nuit/jour être remplacé par le cycle "jour/jour". Du naturel dérangé à l’artificiel aseptisé. Que de folies ! Ce soir, alors que la nuit tombe, il se retrouve déjà roussi par les lampadaires. Ces jeunots vernis, lisses mais si tordus, sans branches ni racines ; qui font de la lumière et s’en croient une. Le chêne leur fait face, tout de bois, sans parure, ballotté par le vent. Ses doigts s’agitent, chatouillent les rafales. Le bleu de la nuit est criblé de nuées. Quelques étoiles frétillent sous la Lune. La rue, toute fière, se darde de sa lumière orangée alors que peu à peu l’ombre avale l’arbre. Qu'adviendra-t-il lorsque les quartiers illuminés toute l’année se trouveront fort dépourvus, lorsque l’heure du changement sera venue… ? Challenge une photo et quelques mots par jour : 23/365 - 23 janvier

  • Robinsons

    Robinsons

    Ils sont là, dressés, aspergés par l'écume. Toute la famille s'est rassemblée. Ils se tiennent serrés, quelques-uns s'étreignent, inquiets. Ils attendent... quoi ? Un navire, un radeau ? Une terre, un îlot ? Ils sont ici chez eux, ils s'y sont ancrés. Ils ont pris le temps de s'élever. Même les petits mousses. Peut-être qu'ils regardent simplement les tempêtes passer, pour apprendre à les essuyer. Pas simple de ne pas se mouiller quand on navigue à vue. Une histoire de vagues, à lames. Autour, l'océan est chaos. L'univers n'est plus que liquide débridé, des chimères nagent au ras de l'eau. Ou juste des reflets. Des songes noyés, quelques bouteilles à la mer. Des rouleaux titanesques oppressent le ciel. Quelques récifs boursouflés pointent leur nez trempé dans un creux. La nuit déploie sa large voile d'encre... Quelques instants encore, l'image de la houle résonne. Avant que la scène ne soit plus qu'un souvenir, perdu dans l'immensité du monde. Challenge une photo et quelques mots par jour : 24/365 - 24 janvier

  • Trio pour Clapotis

    Trio pour Clapotis

    La neige est descendue bas, une nouvelle fois. Quelle année ! J'entends les voisins gratter : les voitures sont verglacées – les vélos pas. Je trépigne d'aller en montagne. Vraiment en Montagne. Pas pour une vague incursion de quelques minutes ou de quelques heures, sur un trajet inopiné, entre le taff et le couvre-feu. ... Mais toujours pas aujourd'hui. Ni demain. Ni même cette semaine, probablement. Dans le timing déjà chargé s'entassent les imprévus. Le Sauvage me manque, je me flétris dans la vallée. La pression monte. Un simple regard permet de s'évader, là-haut, dans les sommets qui se drapent de nuées ; mais le recul et la relâche sont parfois des luxes que seules les nuits de solitude offrent vraiment. Ces moments où soudain, tout s'assemble. Où l'on vit l'instant, devant une gamelle de pâtes natures, en se réchauffant les mains sur un bol d'eau chaude à la lumière d'une frontale aux piles fatiguées, en face-à-face avec un bouquin. Qu'importent le confort et les apparences. Tout paraît simple, docile, apprivoisable. La complexité sociale, piquée de heurts, n'a plus aucun sens. Elle est restée loin en bas. Vu d'au-dessus tout semble plus clair : on distingue des cheminements insoupçonnables, des raccourcis invisibles depuis la grand-route tordue. Je remonte un moment le long de la rivière. Les gorges se resserrent. Le coton du ciel éponge un peu du rose du couchant. L'ambiance doit être dantesque sur les plateaux. Les arbres croulent sous leur charge blanche. Le torrent se divise en filets, qui font la course entre les blocs moussus. Me voici au milieu, flots caressant mes mollets, chaussures splotchant gaiement. Le lieu a quelque chose d'un conte merveilleux. Challenge une photo et quelques mots par jour : 25/365 - 25 janvier

  • Sleeping Blue

    Sleeping Blue

    Les nuages s'effacent avec l'aurore. Comme chaque matin, la descente défile. La rue parsemée de gravier et de nids de poules. Le feu rouge en bas ; les phares des voitures qui déboulent de la gauche. Les gamins masqués qui attendent le bus à l'ombre d'un luminaire, la piste humide, deux promeneurs engoncés. Le Vercors en face. Le coin tri à droite. La pente qui plonge. Le clapotement du ruisseau ; la vieille souche entre les voitures. L'odeur de la boulangerie qui s’enfuit entre les barrières des travaux. Le camion blanc garé avec à l'avant un mec qui regarde son téléphone, le reflet des lumières sur le goudron, le buisson décoiffé. Les cris des oiseaux ; la cour ; la porte entrouverte et la porte fermée. Tant de détails uniques qui tassés et répétés forment la routine. Quelques cirrus s'habillent de rose et esquissent des arcs chevelus dans le ciel, très haut. Le soleil vient toquer à la fenêtre. Puis dans la journée, le temps grisonne. Des bancs de brume affamés lapent les pentes avec convoitise. Ils glissent un peu, ondulent, se désagrègent. Plus loin, ils se sont regroupés, prêts à bondir sur les aiguilles encore immaculées. Le bleu se ternit, devient blanc uniforme. La Lune ouvre un œil vitreux sur le monde qui plonge dans le noir. Challenge une photo et quelques mots par jour : 26/365 - 26 janvier

  • Paroles en l'Air

    Paroles en l'Air

    Ces derniers jours, je rame. Non qu'il y ait spécialement plus de choses à faire que d'habitude – sans doute un peu quand même – mais quelques bâtons dans les roues grippent un peu le quotidien. Quelques coups de blues, retards administratifs, tri à faire trop vite, incompréhensions. Les aléas du direct. Dissimulé derrière un muret enveloppé de lierre, un vieux plaqueminier moussu distille ses derniers fruits ratatinés. Une gamme hétéroclites de piaillements en émane. Le bar des bardes. Un moment trop court, j'observe les allers-retours des oiseaux. Certains se poursuivent, d'autres se laissent choir. Un salto et hop, les voilà raccrochés, dix brindilles plus bas. Trop facile. Des pompons de plumes jaunes dégringolent avant de redécoller. Des merles s'enfuient en emportant leur lampée de butin orangé. Des tourterelles se psalmodient des roucoulades envahissantes contre une cheminée. Un vrai spectacle de saltimbanques. Plus tard, je ressors faire un tour rapide sous la pluie naissante. Des voiles longent les forêts, tout contre le plafond gris. Les passereaux ont plein de choses à dire aujourd'hui. Des humains intrigués lancent des regards interrogatifs à mon appareil. Mais je préfère toujours ce moment, tout simple et pépiant... Challenge une photo et quelques mots par jour : 27/365 - 27 janvier

  • Dilutions

    Dilutions

    La densité du brouillard me fascine. Il forme une purée épaisse qui dévore le paysage. De temps en temps, il en recrache des morceaux, sans prévenir, dans un spasme silencieux. Soudain, il a disparu. Comme un mirage. Et puis il est là, partout, stagnant, comme s'il n'était jamais parti. Des fois je me demande si le paysage va réussir à ressortir en entier, sans se perdre. Des lignes de sapins s’esquissent et s'évanouissent. Comme un puzzle, la montagne s'assemble par petites pièces hésitantes. Lorsqu'un pan est presque achevé, un coup d'éponge vient tout démonter. Des crêtes s'effacent, comme diluées. Tout part en fumée. Le gris plus ne laisse affleurer que des détails. Comme un spot, il met l'accent sur des éléments que l'immensité dissimule. Il révèle les oubliés. Vous savez, ceux qu'on ne repère pas au premier regard, parce qu'ils grandissent à l'ombre des plus grands. Des plus éclatants. Ceux que, vaguement, on discerne du coin de l'œil, que la vision ne fait que survoler, fusant vers une cible évidente. Reliefs oubliés, combe insoupçonnée. Successions de plis. Pin tordu. Clairière angulaire. Et ce sommet, là-bas, déformé, détaché... La neige fond vite. Les paysages de contes sont lavés à grande eau. La nuit tombe, emprisonnée dans un filet de pluie. Challenge une photo et quelques mots par jour : 28/365 - 28 janvier

  • Le Refuge du Grand Sombre

    Le Refuge du Grand Sombre

    Vous connaissez le Grand Sombre ? Il vit dans le Grand Dehors. On ne le voit pas en ville. Il a délaissé les allées lorsque la société a débarqué. Personne ne l'a plus jamais vu. Ou presque – sinon il n'y aurait pas de légende. On ne le remarque que lorsqu'il est agité. Après tout c'est un sauvage... les émotions bien dressées, muselées, c'est bon pour l'humanité. Lui est avide de liberté. Il les laisse s'exprimer, indomptées. Elles montrent les crocs, chutent de haut, galopent librement ; s'abattent sur les montagnes, envahissent les bois. C'est lui, cette présence étrange, certaines nuits où l'air se fait angoissant, sans raison. Il erre et effleure. Étreint et étouffe. Il fait les tempêtes et les frimas, les turbulences et les nuages bas. Aujourd'hui, il est fâché. Ou triste, je ne sais pas bien. Il accable les montagnes de son désarroi. Les cimes altières sont engoncées dans une mélasse épaisse, le ciel pleure à chaudes larmes et dévaste les étendues de poudreuse. Des avalanches arrachent des faces de blanc. Changement de papier peint. Des hardes de nuages toutes en nuances de cendres traversent le massif sans discontinuer. Aveugles, égarées, elles heurtent le relief, s'empalent sur les pics ; avant de poursuivre leur route, hésitantes, hagardes. Encore quelques minutes, et un nouveau et lourd sanglot submerge monts et vallée. Challenge une photo et quelques mots par jour : 29/365 - 29 janvier

  • En Apesanteur

    En Apesanteur

    La pluie tombe encore à grosses gouttes, comme un refrain quotidien. Une nostalgie de la Saint Médard. Une découverte de l'univers subaquatique. Un replay du déluge. Les ruisseaux débitent, les rivières montent, les champs s'imbibent. L'eau cristalline se fait trouble, boueuse, bouillonnante. Le plafond gris se fragmente dans la journée. Des miettes de nuages s’en précipitent, flottent, rôdent à toutes les hauteurs... En apesanteur. À la tombée du jour, je poursuis des loques de brume égarées dans le quartier. J'atterris devant une petite chapelle, habituellement verrouillée. La porte est ouverte, deux barres étrangement fixées au centre des panneaux de bois. Curieuse, j'avance d'un pas... quelques secondes d’éblouissement, et je discerne deux ados dans le noir. Je les laisse à leur cabane et poursuis mon errance. D'énormes cèdres m'accueillent entre leurs troncs rassurants. Devant l'église, l'eau des fontaines gribulle gaiement. Les platanes difformes rayonnent de brouillard, surplombant la route – et des coureurs trempés. Quelques feuilles rabougries, vestiges de l'automne, ont été ramenées par le vent. L'une d'elle s'approche de la surface tremblottante. En apesanteur... L'eau mouvante lui dessine des mots festifs... Challenge une photo et quelques mots par jour : 30/365 - 30 janvier

  • L'Elégance de l'Inutile

    L'Elégance de l'Inutile

    Nous ne parlerons pas ici de conquête. Bien sûr, il y a cet appel. Parce que c'est là indéniablement ; parce que c'est beau sans aucun doute. Cette attirance indicible qui provient des tréfonds d'on ne sait où. Cet aimant profond et instinctif – qui n'empêche en rien de se demander parfois ce qu'on fout là une fois enfoui dans des conditions improbables là-haut. Mais qu'est-ce que l'inutile ?… L'improductif ? La contemplation, le rêve, le beauté ? L'engagement sans retours ? Tout ce qui fait des gens comme moi des paumés naïfs et un peu marginaux ? De la nature et des animaux des objets comme les autres ? Et si c'était pas si bête, d'être inutile... même primordial parfois, à l'heure du temps-argent, du rêve chino-américain, de l'élégance conforme et des acensions-prouesses ? J'ai toujours trouvé une certaine forme d'esthétique aventureuse, passionnante, remuante, aux récits des premières grandes "premières". Au temps de Lachenal ou Terray, de ces "héros" paysans. Ces combattants ordinaires. Le rude et "bon vieux temps", avec son lot de conneries monumentales, de romantisme et d'humanité. Aujourd'hui, tout est record. On a les plus belles fringues, les moins chères, la toute nouvelle hybride dont on ne sait pas comment on a pu se passer, le nouveau crédit qui nous fait gagner des sous en en perdant, la super promo que personne n'avait osée, les produits livrés par un transporteur qui fait les choses "autrement", on "n'a jamais autant pris soin de nous". Tout va trop vite. L'utile est dépassé et déjà le superflu est indispensable. Tout ce tumulte frénétique me fait penser à une phrase que me répétait ma mère lorsque j'essayais de trop bien faire : "le mieux est l'ennemi du bien". Il y a quelque part, une limite floue à ne pas dépasser pour ne pas tout gâcher. S'arrêter, prendre le temps, apprécier, réfléchir, contempler. L'inutilité actuelle deviendra utile en son temps. Un peu de lumière filtre à travers les volets. En les ouvrant, surprise ! Quelques sommets dépassent. Châteaux flottants sur un bout de mer de nuages... La marée bouge vite. En quelques minutes à peine, tout est englouti. Le paysage assoupi attend dans l'ombre. Puis le soleil caresse la surface, dans son ballet maintes fois répété. Il monte, se fait Lune dans le ciel gris. Grimpe encore. Il peint la forêt en orange sous les cieux gris-bleus. D'un coup, un pic crève la voûte. Tout va très vite, les dentelles des cimes déchirent les nuées les unes après les autres. Majestueuses, énormes, magnifiques. On devine au loin les corniches et les congères. Elles sont plâtrées comme jamais, le roc est devenu meringue, la neige sucre glace. Une beauté irréelle. "C'est véritablement utile, puisque c'est joli." Challenge une photo et quelques mots par jour : 31/365 - 31 janvier

  • Graines de Mondes

    Graines de Mondes

    Elles sont posées là, en déséquilibre. Un bijou de perles de pluie, une grappe de graines de mondes. Nombreuses sont celles qui sont presque arrivées à maturation. Prêtes à tomber. Elles ont fructifié, atome après atome, sous l'égide sévère de la forme cornue qui veille au grain, à l'arrière. Pas de vagues ! Elles ont dû se faire discrètes... Elles sont toutes neuves : nées de la dernière pluie. Leurs prédécesseures se sont trop souvent fanées : pas assez arrosées, découragées, asséchées. Diluées, rincées, tombées à l'eau. Pas facile, de faire naître un monde, c'est clair. Autour, tout ruisselle, dégouline, macère. La route mute en ruisseau, les gués s'excitent allègrement, les prés saturent. Un groupuscule de moineaux se querelle dans un laurier alors qu'une fauvette volette dans le mirabellier. Ploc : une nouvelle goutte, une nouvelle graine, qui modifie un peu l'équilibre déséquilibré. Une goutte de plus. Celle qui fera déborder le vase ? La grappe tressaute, une sphère tombe. Elle se jette à l'eau. Qui sait, peut-être que c'est la bonne ? Celle qui enfantera un nouveau monde ? Challenge une photo et quelques mots par jour : 32/365 - 1 février

  • Échos de l'Outre Monde

    Échos de l'Outre Monde

    La brume me taquine. Elle longe la falaise et s'affale par tressauts voluptueux sur les maisons, gommant tout le paysage. Pourtant je sais qu'en face, elle file entre les collines, se coule dans les sapins, souligne les saillies par d’élégantes arabesques... Je l'ai bien vue, en pédalant pour remonter chez moi. Enfin, le nuage va paître plus loin. ... Mais au-devant se dessine une masse blanche, qui déjà remplace la précédente. D'abord elle stationne à bonne hauteur au milieu de la vallée, se trémousse un peu, prend ses aises... Elle se fait rides et plis, se déploie, s'étale... S'effondre. S'abat d'abord tout au fond. ... Végète un peu, mâchonnant le bas des pentes. S'étire. Puis se rassemble en tsunami et lance l'assaut. Un lopin de néant s'installe. ... Du coup, j’ai rendu visite aux cèdres. Je les avais remarqués il y a longtemps, sans trop leur accorder d'attention. Ils étaient simplement là, à quelques centaines de mètres, un bastion familier dans la descente, autour d'une résidence "privée". Comme il y en a quelques autres, çà et là. Palissades végétales séparant les humains. Des corneilles organisent un colloque quelque part : leurs croassement désaccordés résonnent dans la ouate. De temps à autre, un arbre s'ébroue et elles décollent, traversent le fond blanc, disparaissent. Des merles s'irritent. Des mésanges invisibles constellent ma marche de "pwi-pwi" allègres. Le son de la pluie s'est tu depuis quelques heures ; mais en pénétrant sous les frondaisons c’est un concert de gouttes. Un véritable éventail auditif. La brume est plus compacte que jamais, elle donne un air mystique au passage entre les troncs garnis de branches tordues ; entre deux mondes. Vite, elle se dissout. Puis replonge, de plus belle... Challenge une photo et quelques mots par jour : 33/365 - 2 février

  • Dans la demeure du Grand Serre

    Dans la demeure du Grand Serre

    L'été s'est invité. Comme ça, d'un coup, sans prévenir. Il a soufflé très fort sur l'hiver, l'a fait fondre et dégringoler... Et voilà que le thermomètre frôle les 20°C. J'ai l'impression d'avoir loupé une étape, en remontant chez moi en débardeur. ` Depuis l'aube, le ciel est changeant, inspirant. Il se crible de trouées, se charge... Des textures naissent partout et caressent les sommets. Transforment les plus hauts en fantômes, que le froid conserve encore jalousement. Partout dans les versants blancs, on devine des coulées, des blocs... il ne fait pas bon côtoyer les cimes en ces temps. En fin de journée, je prends la route. J'ai une folle envie de voir ces nuages de plus près. Me voici sur des chemins, aux confins d'un village... à faire demi-tour avant que la neige ne barre le passage. Plus loin, je m'arrête à nouveau. Le ciel est juste dingue. Il propage une teinte chaude surréaliste qui baigne la marmelade de neige. Des filaments humides périclitent et tissent des mèches tremblotantes... Plus loin, un front sombre, buté, déjà tout bleu, se cogne à une falaise. Partout, des arbres hirsutes maculent les étendues. Je cherche un point de vue... sans succès. Les herbes sont aplaties par la neige, qui a fui précipitamment, laminant tout sur son passage. Pas une touffe dépareillée ne dépasse de ce toboggan ocre bien peigné. Je finis par me laisser happer par le ciel chargé, au loin, au-dessus de cette montagne que j'ai chérie dès le premier regard. Le mille-feuille de strates souligne merveilleusement les reliefs, comme on pourrait chercher à le faire au crayon. En été, elle se fond dans le décor. En hiver, elle se fait Himalaya. La pointe est triangulaire, altière, ... pourtant pas tape à l'œil. Elle sait s'imposer sans s'exposer. Suave, douce, toute en courbes. Son épiderme lisse se poursuit par une sylve clairsemée. Un tatouage en forme d'aigle orne son flanc. Elle domine la vallée mais s'incline sous le ciel et sa charpente écrasante. Lentement, le couchant perd de ses couleurs, bascule vers le monochrome. Tout au fond, trop vite, la ville s'allume. Challenge une photo et quelques mots par jour : 34/365 - 3 février

  • Dé-filés

    Dé-filés

    Si des fois vous trouvez des morceaux de mon inspiration, n'hésitez pas à les ramasser et à me les renvoyer... Je paierai le timbre ! Aujourd'hui, je me sens étrangement vide. Comme une baudruche, ou une coquille de noisette visitée – de celles qui font les bons sifflets. L'enveloppe est encore là, mais le dedans s'en est allé. J'ai dû oublier un bout de moi au lit, surement dans un songe. Les heures brodent sur cette thématique. Des ratés, de l'inefficacité, un ciel blanchâtre uniforme derrière la vitre sale. Il y a des jours comme ainsi. Qu'il faudrait sauter et recommencer depuis le début. Les passereaux m'accueillent au retour. Quelle joie ! Un pinson, à quelques mètres, au bord des buissons. Des mésanges et des merles ; un troupeau criard de moineaux... et, bien plus haut, les chardonnerets qui pique-niquent dans les platanes. Je vais me nicher contre le composteur pour les voir de plus près. ... Et c'est ce moment que le chat choisi pour me rejoindre. Fail. (Heureusement,) plus d'oiseaux. Tant pis, c’est parti pour un tour plus haut. Je bifurque dans les bois sous le regard appuyé d'un promeneur. Les branches m'attrapent et m'attirent de leurs mille longs doigts. Le monsieur, depuis la route, me fixe toujours avec insistance. Je fuis son regard en m'enfonçant plus loin, sans vraiment réussir à m'en détacher. Enfin, il reprend sa marche. Sans réfléchir, je poursuis une piste, rejoins un sentier, passe par une souille, glisse dans un dévers. Les premières pousses d'ail des ours esquissent la trame d'un tapis. Mes jambes me portent jusqu'à un coin plus boueux que jamais, où un petit trou bouillonne étrangement. Un rayon rose totalement inattendu caresse les montagnes quelques instants. C'est le signal : la nuit s'abat. Je m'assois sur un vieux banc, écoute le silence. C'est agréable, le silence des bois. Prenant, enveloppant. Reposant et inquiétant tout à la fois. Avec tout ça, en fait, je n'ai toujours pas de photo. Alors je m'amuse, avec les troncs tout proches, et le magma citadin qui palpite quelques centaines de mètres plus bas. Challenge une photo et quelques mots par jour : 35/365 - 4 février

  • L’Éveil de la Forêt

    L’Éveil de la Forêt

    Cet après-midi, je me rends à mon garage pour récupérer des calendriers mystérieusement disparus. Par élimination, à moins d'une combustion spontanée ou d'un enlèvement par des Korrigans, ils ne peuvent plus être que là. (Oui, j'ai cherché sous le lit / dans le frigo / dans mon casier / dans le fourgon ; et à peu près dans tout ce qui peut composer mon univers quotidien – mais si vous avez des idées inventives, n'hésitez pas !) La porte basculante ne veut pas s'ouvrir. Prise d'un doute, j'essaye tous les boutons. Rien. Je me demande si... si si, je suis partie avec le mauvais trousseau de clefs ! Flûte. Quitte à être dans le quartier, je vais faire un tour dans la forêt de l'autre versant, où j'ai habité quelques temps. C'est tout près. Peut-être que de ce côté, des perce-neige pointent leur bonnet ? Le long de la route, des parkings de supermarchés bondés et agités ; des files de gens (im)patients qui piaffent, tête basse, devant des bâtiments gris et cubiques. Je rejoins un parc, plaqué contre la place du marché. Un long pré épluché rehaussé de quelques arbres, dans lequel cavale un assortiment hétéroclite de chiens qui promènent leurs maîtres. Il y a de tout. Du bouledogue ramassé qui renifle tout le monde au lévrier altier et distant, du jeune des quartiers au collier hérissé au vieux muselé. J'atteins les chemins connus. La montée, large et raide, entourée de talus. Les toupets de fragon entre les hêtres nus. L'étendue de toits rouges à travers les bois. Un pic toque dans un tronc creux. Cent nuances de brun. De temps à autre, une hellébore décore. D'abord, je ne vois rien dans le tapis de feuilles. Quelques timides pousses d'ail des ours, peut-être. ... Mais là, juste là, à mes pieds, il y a cette petite fleur boutonnée... À y regarder de plus près, il y en a une autre à quelques pas. La première corolle s'ouvre. Une scille, si près... Il faut bien des précurseurs. Allongée dans l'humus, je me régale de sa fraîcheur et du fumet de la forêt qui s'éveille. Challenge une photo et quelques mots par jour : 36/365 - 5 février

  • L’Étoile Bleue

    L’Étoile Bleue

    Parfois, j'ai l'esprit de contradiction. Ce matin, le sirroco, ce vent du Sahara, nous a projeté un joli nuage de sable. Le soleil s'est levé – enfin a essayé – dans une curieuse ambiance loufoque, jaunâtre. En ouvrant les volets, je me demandais, entre l'hiver nucléaire et la téléportation sur Mars pendant la nuit, quelle était l'hypothèse la plus plausible. Les montagnes d'en face s'effaçaient presque dans ce voile dru et orangé. Comme si tout à coup, toute la Terre était s'était retrouvée dans un boîtier photo crasseux bloqué sur une balance des blancs à 10 000 K. Ou qu'on regardait le monde à travers des lunettes oranges embuées – parce que la vie en rose, c'est démodé. Le soleil a fini par se pointer, cercle fantomatique, pâle écho fiévreux même pas éblouissant. Il s'est élevé, résolument... s'est cogné à une dune plus dense que les autres, a bu une tasse de particules et s'est étouffé. En cours de route, la neige s’est couverte de sable sur les cimes, qui d'ailleurs se sont évanouies, quelque part pas si loin du soleil. Au crépuscule, les nuages se scindent en traînées flottantes. Ambiance apocalyptique. Voici donc, en ce jour thématique ocrange, ... une photo bleue. L'abus d'agent orange est mauvais pour la santé. Et puis ça fait si longtemps que j'attends les fleurs ! Moi qui suis toujours fleur bleue... Challenge une photo et quelques mots par jour : 37/365 - 6 février

  • La Diagonale du Vide

    La Diagonale du Vide

    (ou Le Cracheur de feu venu du Nord) Hier, un curieux chant clair m'a fait jeter un œil dans le bassin. Tout au fond, derrière les nénuphars fanés, dans la petite cavité qui recueille l'eau de pluie en provenance des gouttières, deux grenouilles étaient en plein ébat. Encore plus au fond, deux yeux globuleux dépassaient de la surface. Déjà ! Un dernier coup d'œil indiscret et je les ai laissées à leurs affaires. Aujourd'hui, donc, je vais aux grandes mares, un peu plus bas. S'il y a si tôt des grenouilles chez moi, il y en aura sans doute plein là-bas ! ... Ou pas. Des petites familles masquées arpentent non loin les chemins tassés, mais pas l'ombre d'un batracien. Peut-être qu'il refait déjà trop froid. Ou qu'ils sont discrets, camouflés derrière des rideaux de roseaux. Bredouille, je marche d'un pas rêveur en remontant. Un pic épeiche tapote dans un bosquet, très haut. Je l'observe vibrer par saccades, aux côtés d'un couple intrigué. Plus loin, deux roitelets rebondissent gaiement. La pluie cesse et un rayon de soleil solitaire vient saluer une pyramide, à l'horizon. Le ciel reste encore bien bouché. Quelques bouts de nuages agonisent dans les bois. En fin de journée, je retourne au cimetière, en face de chez moi. On ne sait jamais. Je me dis que voir un peu de vie doit faire plaisir aux morts, de temps en temps, plutôt que des têtes d'enterrement... et que du coup, ils n'en veulent pas trop à cette hurluberlue qui squatte leur point de vue. D'abord, les nuages se fardent un peu, timidement. Ils rosissent de plaisir devant les montagnes repeintes. Une fissure orange s'ouvre dans la forêt blanche. Elle monte... S'éteint. Un sommet s'allume. Deux. Cinq. D'un côté, une bande rouge chatoie devant un nuage bleu azur. De l'autre, le ciel s'enflamme. Challenge une photo et quelques mots par jour : 38/365 - 7 février

  • L'Effet Papillon

    L'Effet Papillon

    "Je suis né ici, il y a peu. À peine quelques vies de passereaux, une génération d'humains, une enfance de hêtre. Je suis encore un jeunot. Comme j'ai grandi seul, j'ai poussé vite. Il ne faut pas traîner dans la vie. Il faut encaisser, être solide. Se déployer, s'équilibrer. Sinon, on s'arrache et on se défonce. C'est pas jojo. Et puis j'ai de la place. Il y en a qui ont moins de chance ! Je peux m'étendre de tous les côtés, m'étirer, m'allonger. Ça c'est fait naturellement. ... Bon ; parfois, quand même, je me dis que ça doit être chouette, d'être entouré. De ne pas se prendre les gifles des vents en pleine face à chaque ondée. De se sentir soutenu, au sein d'un tout. Même si on se marche un peu dessus pour s'entraider. Je ne peux pas aller les voir, mais je sais bien qu'il y en a d'autres, des comme moi. Des trapus, des branchus, des cornus. Des tordus, des bossus, des fêlés. ... À mon âge, vous vous penseriez sages. Vous auriez déjà vu le monde et ses merveilles. Vous en seriez sans doute déjà lassé. Vous bougonneriez de vivre la vie que vous avez choisie entre deux impositions, en faisant des plans sur la comète. Moi je suis, point. Je n'y pense même pas : je n'ai pas d'autre option. Je suis et je croîs. Même sans aller ni croire. Autour de moi, la vie crépite et la mort fauche. Le jeu d'exister incarné, c'est de disparaître un jour. Parfois j'ai l'impression que c'est un truc qui vous échappe. Faut-il vraiment arrêter de vivre, par peur de mourir ?" Challenge une photo et quelques mots par jour : 39/365 - 8 février

  • L'Ange de la Mort

    L'Ange de la Mort

    "Hommage à ce que tu es et ce que tu as été." C'est ma petite phrase pour les morts. Humains ou non, entourés ou non, appréciés ou non. Peu importe, après tout. "Il bouge encore ? - ... Pardon ? - L'oiseau. Il bouge encore ? - Oui. Mais je pense qu'il est condamné. ... Je vais le remonter chez moi, au cas où il y aurait quelque chose à faire. - Vous êtes généreuse. - ... On fait ce qu'on peut..." Il y a des gens sympathiques, dans leurs cages de métal, parfois. Aucun animal n'a été maltraité pour cette image. En revanche, mon modèle est un mort. Je l'ai ramassé sur la route alors qu'il vivait ses derniers instants. Il voletait en rond comme un papillon, tout contre le goudron, en plein milieu d'une voie. Je n'ai pas vu le choc, tout récent. Je l'ai ramassé, délicatement... d'abord pour le poser au bord, simplement, le temps qu'il se remette. De loin, je l'aurais imaginé un peu assommé, une aile froissée, ... pas beaucoup plus abîmé. Puis j'ai vu le sang qui coulait du bec... Le temps que je trouve un tissu pour l'envelopper, il ne remuait plus. Assez vite, c'est devenu évident qu'il ne bougerait plus. La mort. Un truc bizarre pour commencer la journée, hein ? Que l'on accepte vaguement tant qu'on ne réalise pas, et qu'elle touche des gens lointains, à l'arrière-plan là-bas. L'ami de la sœur de la cousine par alliance du grand-père de tonton René, tu sais ! Ou ces types exotiques, dans le journal et les médias. Quand elle gobe soudain la vie d'un connu, c'est autre chose. Quand elle nous menace soi ou un très proche, différent encore. Un péril planant, une épée de Damoclès contre laquelle on est prêt à se battre, désarmé, à coup de griffes et de crocs, de cathéters et de chimio. On ne la réalise jamais, on l'oublie souvent, et d'un coup de faulx elle nous rappelle son existence. Une fin ineffable, qui nous semble indispensable pour les animaux, ordinaire pour les lointains, et soudain inacceptable lorsqu'elle s'approche, tapie, rampante, prête à bondir. L'on se plaint de nos vies, mais on les voudrait éternelles... on cherche des détours, de excuses, des solutions. Et un échappatoire : Dieux ou Démons... Et pourtant... la mort, c'est la fin d'un cycle, une continuité, simplement... Et la vie, un miracle précieux qu'il faut apprécier au mieux... "Il vaudra mieux que tu m'oublies en souriant, que tu te souviennes de moi dans la tristesse." (Je ne sais plus où j'ai lu cette phrase, mais elle m'a marquée.) Challenge une photo et quelques mots par jour : 40/365 - 9 février

  • Douceurs

    Douceurs

    Un tapis de sucreries. Une mélasse de friandises. Quelques cœurs roses saupoudrés de paillettes scintillantes. Un décor floral qui déjà frôle le kitch... Et entre en scène un porte bonheur. (Un coup de redoux, et quelques coccinelles s'éveillent... elles cherchent encore la chaleur des maisons.) Au fait, c'est quoi le bonheur ? Il paraîtrait qu'on parle d'état constant de félicité, plénitude, contentement. Une genre d'idéal abscons et uniforme dans une satisfaction absolue. Le truc impensable dans la vraie vie – le sujet de bac parfait (je suis tombée dessus) : "le bonheur est-il accessible à l'Homme ?". Est-ce que, vraiment, on peut rester béat en surfant toujours sur la crête des vagues, sans jamais en voir de creux ? Est-ce qu'on réalise la chance d'être tout en haut de la courbe si on n'en a jamais glissé, dégringolé et escaladé les pentes ? Est-ce que l'absence de connaissance d'un "moins bien" ne peut pas créer de la neutralité blasée davantage que de la félicité ? – Est-ce que le bonheur permet d'être heureux ? Et souvent encore, on confond : bonheur, joie, plaisir... une sensible divergence de temporalité. Quel fatras, toutes ces subtilités de langage ; une marmite de formules en ébullition... De quoi s'égarer. J'aimerais souvent pouvoir projeter des pensées dans la tête des gens, sans passer par la case "mots" : tout serait tellement plus intelligible ! Les expressions pourtant courantes paradent et cavalent. Une escapade : que du bonheur ! Une acquisition attendue : c'était le bonheur ! Je me suis fait plaisir aujourd'hui : quel bonheur ! Comment j'étais heureux hier ! Et entre de bonnes heures, on se morfond. Et si des fois le bonheur, c'était de savoir apprécier le présent, dans ses hauts et ses bas, ses jours avec et ses jours sans... Accepter les temps foireux, savoir passer outre, ne pas faire enfanter le quotidien de tracas sans importance. Pourquoi prendre à cœur de se prendre la tête, lorsque l'on peut choisir de voir de bons côtés à tout ? Oser jouer au jeu du bonheur... Challenge une photo et quelques mots par jour : 41/365 - 10 février

  • Scène de Ménage

    Scène de Ménage

    Des étoiles dans les yeux, ils se tournent le dos. Tête basse, boudeurs, obstinés. Après tout, c'est l'autre qui a commencé ! Et puis d'abord, il devrait s'excuser. C'est toujours moi qui fait les efforts. Quelle arnaque. C'est vraiment trop injuste. Ainsi, en miroir, ils s'éloignent, suivent leur voie en déraillant ; oubliant de regarder dans le rétroviseur... Ils n'osent rien dire, non... Mieux vaut passer outre, encaisser, ... attendre que ce soit pire : se dépasser et franchir la ligne, arriver à bout, qu'il n'y ait plus d'excuse. Le boum-boum des cœurs s'est fait détonation. Clash. Lumière et ténèbres s'entremêlent : l'éclat dessine l'ombre, les opposés s'attisent, tout explose. Une histoire de puissance mal réglée, sans doute. Un dérapage, une sortie de route, une voie un peu trop cabossée. Trop d'attentes. C'est vite fait de louper le coche. Alors, peut-être, ils se pencheront vers d'autres, pour refaire un tour de piste. En corrigeant quelques erreurs, en en répétant d'autres : chacun évolue selon sa trajectoire et à sa vitesse. Parfois, on veut aller trop vite, on fonce... et l'univers est indulgent : ça passe. Parfois, un simple gravillon et tout dérape : gamelle. Mieux vaut ne pas tomber trop vite. Après coup, ils se disent qu'avant de se tourner le dos... ils n'auraient pas dû oublier de regarder dans la même direction. Qui sait, peut-être qu'un fois qu'ils seront seuls, il se jetteront un coup d'œil ! La nuit d'hiver effacera leur fierté, ils voudront simplement s'étreindre et se réchauffer... Challenge une photo et quelques mots par jour : 42/365 - 11 février

  • Le Gouffre de Helm

    Le Gouffre de Helm

    Aujourd'hui, j'ai besoin de prendre l'air. Le ciel grisâtre dévoile confusément quelques montagnes et s'orne une poignée de secondes d'une ligne de vaguelettes roses. Le gris foncé se mue en gris clair, puis en vase fade. Les contrastes disparaissent graduellement. Mon vieux fourgon hoquette et ronronne, chiffonnant le calme ambiant. Ce matin, le monde est silencieux. La nature retient son souffle et attend la neige. Aujourd'hui, c'est le dernier jour de mon compagnon à notre travail salarié. C'est à la fois une excellente et une inquiétante nouvelle : si inattendue, si rapide. Je suis perdue : je ne sais qu'en penser. Mes pensées forment un essaim aveugle et endiablé qui tente en vain de franchir les limites de mon crâne, se heurtant aux parois. Dans notre couple, j'ai toujours été la plus débrouillarde... mais la moins qualifiée, la moins "rentable", la moins conformiste, celle qui "vaut" le moins dans le grand marché du monde. Et voilà que d'un coup, je conserve mes deux boulots, et lui plus aucun. Pourquoi pas après tout. Il faut juste qu'on accélère notre quête du plan D ou E (débrouille ou expérimental) pour arriver prochainement dans un plan PP (Potentiellement Pérenne – et non pas pitoyablement pourri). La route monte, descend, louvoie... presque déserte. Défilent des forêts hautes et fournies, des congères, des champs déplumés, des haies givrées bordant des pâtures dorées, quelques arbres déjà saupoudrés. Les pistes découpent de larges cicatrices blanches dans les pentes boisées. Des chalets isolés se succèdent. Mon regard s'arrête sur le sourire d'un homme qui rentre son chien, puis sur le joli visage d'une jeune femme tenant une toute petite fille par la main. Je ne sais pas pourquoi, mais ils ont un air sincère de gens biens. Puis c'est le chemin : d'abord large et plat, enfin étroit et raide. Les racines et les cailloux s'enchevêtrent en une moquette glissante qu'un peu d'une vieille neige fondue calfeutre. Le sillon grimpe, patine, fonce à travers la pente. Le souffle se fait plus court, le bonnet chauffe... Le contact de l'air froid est agréable. Tout en haut, les pentes sont déjà blanches. La cascade se jette du mur sans hésitation. Je me faufile jusqu'à l'étage supérieur, un des premiers sauts du puissant flux. Aux abords, le verglas s'est emparé des lieux. Tout est couvert d'une couche lisse et translucide. Une gangue de glace furtive qui moule mousse et roches. Le son de l'eau prend corps dans l'air ambiant, le sature. Je chante et bafouille au milieu de son flot ininterrompu de postillons. La brume s'invite, comme une vague au ralenti. Elle baigne le vallon, devient un lac qui déborde et ronge ses rives imaginaires. Les flots submergent une première arrête, puis une deuxième. Encore une et ils sont là, glissant le long du demi-cercle de roche, le léchant, se pressant contre la falaise, galopant entre les sapins tordus. Petit à petit, tout s'imprègne : mes polaires, chaussures, pantalon, ... trépied, appareil. La scène est imposante, magistrale. Les rebonds de l'eau sont si sobres et élégants, dans cette forteresse démesurée parcourue de brouillard… Challenge une photo et quelques mots par jour : 43/365 - 12 février

  • Tournis • Code Barre

    Tournis • Code Barre

    La neige s'est mise à tomber hier après-midi. D'abord un peu vacillants, un peu fiévreux, les flocons ont pris de l'ampleur. De l'assurance. Derrière les premiers qui fondaient, d'autres arrivaient toujours. Tout la soirée, ils se sont poursuivis dans leur chute exaltée au ralenti. Ils ont dansé sans fin devant le lampadaire de la rue. Le niveau est monté... Ce matin, un épais tapis molletonné isole le paysage. Les rares fleurs qui offraient leurs frimousses colorées aux pelouses dégarnies sont enfouies sous quinze centimètres de poudreuse. Devant le hameau "expression libre" – un assortiment de maisons accolées dont un joyeux panneau bigarré et revendicatif marque l'accueil – une famille déblaye sa voiture à grand renfort de pelles et de balais. Les sourires des galopins font plaisir. On se salue, continue. Les bois sont semés de quelques pistes – moins que je ne l'aurais cru. On parle animaux avec un promeneur, dont le chien, vigilant, adorable, attend patiemment. "Au fait, je crois que je suis votre voisin." Ah oui, en effet ! Je ne suis vraiment pas physionomiste pour un sou... ! Ses rencontres sont prometteuses. Les troncs immobiles se mettent à valser. Ou peut-être est-ce moi, ivre de neige. Ils paradent, s'alignent, se tortillent un peu ; glissent, se cajolent. Les voilà qui forment un code-barres unique, celui qui, peut-être, par le scanner de nos yeux, indique la valeur sans prix des lieux... Challenge une photo et quelques mots par jour : 44/365 - 13 février

  • Il était une Forêt...

    Il était une Forêt...

    Le soleil effleure les flocons. D'abord froid, il se fait cajolant, persévérant, envahissant. Son insistance les fait luire... puis fondre. Une timide demi-mer de nuages, à moitié évaporée, promène ses loques de remous au-dessus de la vallée. Elle s'efface rapidement, balançant un peu d'écume contre les pentes replâtrées. Aujourd'hui, je m'enferme. Je range, je trie. Dans l'appart' et dans ma tête : c'est parallèle et c'est long. Interminable, même. Demain, j'ai un entretien annuel.... Ou après-demain, peut-être. Je n'ai rien à craindre, mais j'ai peur. Bien sûr, ce travail n'est que provisoire. Bien sûr, je n'y tiens pas spécialement : ivre d'images, de rêves, d'autonomie et d'espaces sauvages, être enfermée dans un zone industrielle ne fait pas spécialement partie de mes aspirations. Mais bon, lorsqu'on essaye vaguement de planifier et de faire des projections de vie dans une relative tentative de stabilité – une fois n'est pas coutume – les changements de direction impromptus ont leur importance. Et en ce moment, il y a des virages. C'est bien les virages. Ça surprend. Ça oblige à repenser la trajectoire, surtout quand on était tellement occupé à regarder au loin qu'on a oublié de les anticiper. Il faut juste penser à braquer assez pour éviter fossés et murs. L'avenir nous dira si notre civilisation industrielle, d'ailleurs, est assez bonne équilibriste pour virer sans se rétamer ou faire trop de tonneaux. Au soir, l'écume renaît contre les flancs des montagnes. La marée s'élève jusqu'aux cimes, les assaille, les submerge... puis s'efface. Un chien aboie quelque part entre les bouquets d'oiseaux. Les premières ampoules s'allument dans un manège tremblotant et orangé, alors que l'heure bleue rattrape les sommets gelés. Challenge une photo et quelques mots par jour : 45/365 - 14 février

  • Passerelle

    Passerelle

    Très haut , le soleil embrase un troupeau de coton. Tout me semble étonnamment calme, ordinaire. La descente déroule son long ruban gelé, le vélo tressaute et frémit, les phares des voitures glissent dans l'aube encore assoupie. Les silhouettes imposantes des géants enneigés surplombent la cité. C'est comme si rien n'avait changé. Et c'est vrai : rien n'a changé ; alors que tout est différent. Comme si je m'attendais à ce que mon état d'esprit déteigne sur l'extérieur et qu'en une nuit tout soit devenu autre. Quoi, je ne sais pas, mais juste pas la même chose qu'hier – et sans doute que demain. Les heures passent et la pression monte. Le soleil baigne la pièce remplie de cartons. Un lézard vient faire un tour devant la fenêtre, explore le muret, s'arrête contre une palette et ferme les yeux. À l'ombre, une épaisseur blanche matelassée fait le dos rond et se liquéfie petit à petit. Finalement, le soir vient. Sur l'arbre échevelé du voisin, deux corneilles palabrent en langue des signes. Elles font un spectacle de mimes, tournent sur elles-mêmes au ralenti, font quelques enjambées maniérées, se regardent, se détournent. D'un côté ? Du flou. De l'autre ? Pareil. Mince, on est où ? Le présent, une passerelle entre deux mondes... Challenge une photo et quelques mots par jour : 46/365 - 15 février

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