Ah, le printemps. Il s'est immiscé bien trop tôt dans le paysage. Comme un inconnu qui débarque, et avec qui on compose puisque maintenant, il est là. Les choses pourront reprendre leur cours un peu plus tard, lorsqu'il aura repris sa route... Et puis la situation s'est prolongée. L'imprévu est devenu habitude. Les fleurs ont éclos sur les reliques d'hiver, les oiseaux ont repris leurs chants, l'austère s'est mué en accueillant. Ce matin, soudain, l'hiver nous a rappelé à l'ordre. Après une nuit agitée où les bourrasques se sont lamentées à travers les volets, une neige mouillée a fondu sur le paysage à lourds flocons. Les crêtes se sont retrouvées encapuchonnées, s'esquivant parfois dans un ballet de ressauts et de textures. Le blanc sale est redevenu immaculé ; le ciel, lourd et dégoulinant ; des brumes basses se sont remises à batifoler malicieusement dans cette atmosphère humide. De flemme et d'inertie, je ne suis pas vraiment sortie sous la pluie. Il paraît que c'est un temps à crêpes et chocolats chauds, à gaufres et thés bien au chaud. Mais que j'aime l'hiver... Challenge une photo et quelques mots par jour : 73/365 - 14 mars
L'intuition. C'est un paramètre important, l'intuition. Un de ces machins dangereux trop spontanés que l'on muselle et enferme dans une cage bien au fond, derrière la liste des trucs à faire, les monceaux de flemme qui traînent partout, et la lourde vitrine des choses à paraître. Parfois, c'est un éclair de lucidité et de questionnement qui "pope" entre deux impératifs, parfois une réflexion profonde qui promptement jaillit comme un geyser face à un stimuli, un flair inné qui nous transperce dans et par tous les sens. J'y pense, parce que ça m'arrive souvent en photo. Pour d'autres éléments bien plus cruciaux aussi bien sûr ; mais bon, la photo fait partie de ma vie. Tout à l'heure, j'allais faire mes courses. Un truc tout bête, me direz-vous ; mais c'est un de ces rares jours où je fais bouger son vieux popotin à mon fourgon et où je me laisse la possibilité d'en profiter pour faire un détour sympathique. La pluie tombait à verse, la neige n'était pas si loin. J'avais une idée de point de vue intéressant depuis un moment, je sentais que c'était un des jours J. Et puis... la pluie tombait à verse. L'heure des bouchons approchait. Dans ma tête, une petite voix me soufflait qu'il fallait vraiment y aller, mais elle a fini par s’engluer dans une épaisse couche de paresse soucieuse et démotivée. Je suis donc rentrée sans détour. En repartant à pieds, … le couvercle dégoulinant des nuages a éclaté d'un coup. Un gros morceau joufflu est monté comme un ballon d'hélium, et un vieux tas de coton s'est mis à longer les reliefs. Des rayons de soleil ont poinçonné la scène pour piquer des points biens précis. De là où j'étais, je voyais mon spot hypothétique, de l'autre côté de la vallée. Juste à la limite de cette blême imitation de mer de nuages, dominant tout juste l'écume tanguante, se prenant une déferlante de temps à autre... des lumières irréelles dansant tout autour. ... Que j'ai regretté ma flemme blasée !... Et puis j'ai contemplé le spectacle. La fumée des cheminées devenir nuées, les serpentins défiler au-dessus de la ville immobile. La ville : cette flaque de bâtiments décousus qui me rebute depuis le début. Et pourtant moi aussi je gravite autour... Comme un moustique : un opportuniste qui vient quêter sa pitance – et qu'on peut chasser d'une pichenette. En espérant peut-être bzbzter un message d'espoir au passage : faire une tache d'huile dans la mare de béton. ... Le rôle des idéalistes ? Je me perds en considérations en regardant les couleurs se moduler et se fondre l'une dans l'autre... Une pyramide a troué le premier plafond, épais, presque immuable. Longtemps, des bancs de brume se sont glissés entre les arbres. Puis tout a été englouti. Challenge une photo et quelques mots par jour : 74/365 - 15 mars
Comme un élève timide, le muscari bien coiffé, débordant de bigoudis colorés, lève un doigt. La demi-Lune, en demi-teinte, répond, incertaine. Ce soir, j'ai pris ma photo chez le voisin. Pas celui qui se balade avec son chien sympa – ni celui qui n'aime pas qu'on fasse du bruit. Celui d'à côté, qui découvre un peu lui-même son jardin après quelques années d'apparitions fragmentées. Son terrain est génial – lui est adorable. Comme chez nous, il y a les tapis de primevères multicolores, les pâquerettes qui lèvent délicatement la tête et se referment avant la nuit. Les toupillons ras des violettes et les prunus décoratifs tout dégarnis. Mais il y a aussi les résineux, droits et imposants ("Celui-là, j'ai moins confiance... [...] enfin un jour, il y a eu une tempête, et le toit de la maison s'est envolé. Pas l'arbre. C'est qu'il tient quand même pas mal !"). Les muscaris qui se dévergondent et exhibent fièrement leur perruque violette. Les jonquilles isolées, les poireaux sauvages.... et surtout, les deux gros orchis qui grandissent. On a discuté entre les broderies de fleurs. Finalement, je n'ai presque pas eu le temps de faire de photo... Une année, c'est des jours avec et des jours sans ; et aussi des jours riches improductifs et des jours maigres foisonnants. C'est long, l'expérience de l'inconstance... se faire apprenti-sage. Challenge une photo et quelques mots par jour : 75/365 - 16 mars