Cette nuit, le vent a dégringolé de la montagne sans prévenir. Tout s'est mis à vibrer, chuinter, craquer. Un chœur de geignements sifflants a longé les murs, comme une menace sinistre qui s'approchait en planant, avec force grondements et plaintes. Les volets ont tremblé, les arbres ont frissonné. La lueur blafarde d'une Lune presque pleine suintait à travers des nuées déchirées. Au matin, tout était calme. Et brumeux. Nulle montagne à l'horizon. Quelques mamelons, quelques pans de forêt, quelques cumulus bourgeonnants à travers la ouate. Un large silence moite. Après de multiples essorages, le ciel s'est dégagé. Ne restaient plus que de rares châles cotonneux coincés dans les remparts, et une longue ligne mouvante qui épousait les plus hauts pics. Dans les prés, des zygènes, comme naviguant dans des chaloupes au gré des flux, contemplaient le crépuscule encore humide. Ceux-ci, côte à côte, gardés solennellement par deux comparses à cheval sur des tiges bien droites dressées de part et d’autre de leur vaisseau fleuri, semblaient embarqués pour un long voyage... P.S. : vous avez remarqué l'araignée ? Challenge une photo et quelques mots par jour : 262/365 - 19 septembre
"Jésus, c'est toi ? -Non, moi c'est Gerris. Jerry pour les intimes." Il y en a qui boivent la tasse, quelques uns qui traversent des océans à la nage, certains qui rament, d'autres qui pataugent... Il y en a même qui respirent sous l’eau. Moi, je flotte. J'adhère à la surface des choses. Je patine sans glisser. Je ne cherche pas les profondeurs. Les tréfonds, c'est pour les plongeurs et les métalleux. On m'appelle araignée d'eau, mais je n'ai pas assez de pattes ni d'yeux – non, les yeux, pas Dieu, ni maître. Je peux communiquer par les vibrations à la surface. C'est magique, l'eau. Dans ce ruisseau, on est toute une flotte. Sans foi ni lois. On joue à l'aquarelle et au moucheron prisonnier. Quand viendra l'hiver, il faudra rejoindre la berge pour faire cale sèche. Et au printemps, nous pourrons à nouveau sillonner les plans d'eau, écumer les rizières, terreurs des mares ! Challenge une photo et quelques mots par jour : 263/365 - 20 septembre
Je suis né tout près. Sur un terreau fertile, entre les lumières glauques des néons, non loin de celles des lampadaires. J'ai grandi ici. Libre mais enfermé. Entre le parking et le stade de sports ; entre le bar et la bibliothèque ; entre les bâtiments et les poubelles. Comme toi. On m'a nourri, on m'a arrosé. On m'a fait pousser. On m’a bien élevé. On m'a protégé des tempêtes, parfois. Comme toi. On a écarté quelques-uns des plus sauvages, réorienté les plus tordus, taillé les plus empressés, rabaissé les plus dissipés. Comme chez toi. J'ai cru que c'était normal – comme toi. Que c'était le destin de chacun. Un destin sans vagues, sans heurts, sans périls. La tranquillité sans histoires. Chacun dans son coin. Chacun son boulot. Chacun son récit. Chacun son aventure, pleine d'écueils et de gloire mais sans réel péril ; chacun son cheminement sans failles, dans un carré bien entretenu. Un bel avenir propre et coloré. Il y a de la place pour tout le monde : surtout pour les meilleurs. Les classiques, les bien équilibrés, les aisés à restructurer. Là, à mes pieds ; et là-bas, au loin, il y a des mauvaises herbes. De celles qui dérangent. Des sauvages, des indomptables, des indisciplinés, des fous verts bien ouverts, des trop curieux. Des qui ne veulent pas suivre la bonne marche linéairement exponentielle du monde. Des gêneurs. Des envahissants. Des contrariants. On ne s'entend pas si mal, mais bien vite, on vient m'en débarrasser avant qu'ils ne soient étouffants. Régulièrement, ils se font taillader. Ils font désordre. Mais ils repoussent, les inconscients, au risque de se voir réduits à néant. Pourquoi tant d'énergie à croître pour se voir supprimé, encore et encore ? Je penche un peu. Je deviens expansif. On s'empresse de me ciseler savamment. Il est de mon devoir de m'élever bien droit. Symétrique. Circulaire et carré. Stable. Je suis né apprivoisé. Comme toi. Challenge une photo et quelques mots par jour : 264/365 - 21 septembre